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en bon style et avec autorité, il avait décrété que Wagner était « un barbare, et ses partisans, pour la plupart, des écrivains médiocres, des artistes, des quasi-poètes, des avocats, des démocrates, des républicains suspects, des esprits faux, des femmes sans goût, rêvasseuses de néant. » Un autre critique, Berlioz, écrivain au Journal des Débats, furieux de se voir laissé en dehors de l’Opéra, quand la protection de l’ambassadrice d’Autriche y faisait entrer si aisément l’Allemand, rendit compte en termes sarcastiques d’un concert que Wagner avait donné aux Italiens pour se procurer quelque argent. Faisant écho à ceux qui, avant de traiter Wagner de Marat de la musique, l’avaient appelé son Robespierre, il l’accusa de violer toutes les règles connues, de n’admettre aucune mélodie, de maltraiter les oreilles des auditeurs par d’épouvantables modulations, de n’avoir aucun égard aux chanteurs et de n’employer que les intervalles les plus lourds et les plus haïssables.

Le maestro, de son côté, mécontenta les abonnés de l’Opéra par son obstination à maintenir le ballet d’usage au premier acte, c’est-à-dire quand les amateurs des danseuses n’étaient pas encore arrivés. Il indisposa le chef d’orchestre en sollicitant de tenir le bâton lui-même à la première représentation, et refroidit les artistes par ses impatiences nerveuses et ses exigences techniques. Une cabale se forma, qui fut aussitôt accrue et rendue formidable par ceux qui voulaient protester contre le pouvoir personnel au théâtre : on ne supporterait pas que les compositeurs français fussent sacrifiés ; que l’Autriche vînt prendre à l’Opéra sa revanche de Solferino et que l’Empereur exerçât son despotisme jusque sur l’Art. Malgré le succès des répétitions, on annonçait un fiasco colossal. On racontait que le ministre était sorti de la répétition en s’écriant : « Wagner est évidemment fou. » Berlioz écrivait : « Liszt va arriver pour soutenir l’école du charivari. » Intimidé par l’annonce de l’orage, le principal chanteur, l’Allemand Neumann, trahit. Use rendit chez Scudo (de qui je le tiens), abandonnant l’œuvre pour obtenir grâce pour lui-même. « L’échec disait-il, était certain. » Et, en effet, il y contribua tant qu’il put par la mollesse lâche avec laquelle il chanta son rôle.

J’ai assisté à cette représentation[1], me faisant chef de claque avec l’Empereur et la princesse de Metternich. Le parti pris de

  1. 13 mars 1861.