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sur notre petite duchesse de Bourgogne, que nous semblons avoir un peu perdue de vue ? Les dépêches de Vernon à son père nous la montrent depuis quelques mois dans un état de cruelle agitation. « J’ai su de bon lieu, écrivait-il à Victor-Amédée, que, ces jours passés, Mme la duchesse de Bourgogne entra dans la chambre de Mme de Maintenon au moment où s’y trouvait Sa Majesté, se plaignant sans que ses larmes et ses sanglots leur permissent de comprendre ce qu’elle voulait dire. A la fin, un peu calmée par les manières affectueuses et obligeantes de Sa Majesté et de Mme de Maintenon, elle finit par leur dire qu’elle venait de recevoir un coup mortel au cœur par le discours qui lui avait été tenu relativement aux bruits qui couraient sur Votre Altesse Royale, et parce qu’il lui avait été dit que Sa Majesté avait pris le parti de la renvoyer parce qu’elle n’avait pas encore de fils. Et disant cela, elle retomba en sanglots désespérés. Sa Majesté fut également attendrie et indignée de ce récit, et donna aussitôt des ordres pour qu’on recherchât l’auteur de ce discours et pour qu’il fût puni sévèrement[1]. »

La duchesse de Bourgogne, comme toute jeune princesse, avait des ennemis, surtout dans la petite cour de Monseigneur. Il était certain que les torts de son père seraient exploités contre elle. Aussi tomba-t-elle dans la désolation, lorsque la nouvelle de ce qui venait de se passer en Italie fut connu à la Cour. « Mme la duchesse de Bourgogne, écrivait encore Vernon, est dans une affliction plus qu’ordinaire, qui apparaît aux yeux de tous. On sait qu’elle a beaucoup pleuré. Sa Majesté lui a dit à elle-même que, par considération pour elle, Elle avait longtemps tardé à prendre les résolutions qu’Elle a prises au regard de Votre Altesse Royale ; mais qu’Elle s’y était vue contrainte par une indispensable nécessité, pour prévenir les maux qui pouvaient résulter des engagemens que Votre Altesse Royale avait pris avec l’Empereur[2]. »

La bienveillance de Louis XIV pouvait rassurer ainsi la duchesse de Bourgogne sur sa situation personnelle. Mais elle était trop fière pour ne pas ressentir l’affront fait à son père, et trop attachée à lui pour ne pas en souffrir. « J’eus le cœur serré de la douleur de notre princesse depuis que M. de Savoie a

  1. Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, mazzo 134. — Vernon à Victor-Amédée, 17 août 1703.
  2. Ibid. — Vernon à Victor-Amédée, 10 oct. 1703.