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Le parlement anglais vota une somme de 500 millions de francs qui devait servir de compensation à l’affranchissement des esclaves de toutes les colonies britanniques. Cette somme devait être répartie, à titre d’indemnité, entre chaque colonie. Dans la colonie du Cap, on comptait 39 000 esclaves, qui furent évalués à 76 millions. Quoique cette somme fût très inférieure à la valeur réelle, il se trouva, en lin de compte, qu’au lieu de l’évaluation convenue, la part attribuée à l’Afrique australe était réduite à 31 millions. Cette nouvelle provoqua une véritable consternation dans la colonie, car elle devait provoquer la ruine de bien des colons. Beaucoup avaient donné en gage leurs esclaves pour dettes, et, comme les créanciers réclamaient leur gage, c’était un désastre. Pour comble, les indemnités n’étaient payables qu’à Londres. Les propriétaires d’esclaves étaient donc réduits à se livrer aux mains d’agens qui, spéculant sur la misère des Boers, leur achetaient des certificats pour la moitié de la valeur. En sorte que la plupart ne touchèrent que le sixième de la somme à laquelle leurs esclaves avaient été évalués. Cloete, l’historien du grand trek, cite son propre cas en exemple : il toucha à peine le douzième du prix d’un esclave qui valait 15 000 francs. On peut difficilement se faire une idée de la misère qui fut la suite de cette confiscation sommaire, dans une colonie de plantation aussi petite et aussi pauvre que l’était le Cap en 1835. Des ménages qui vivaient dans l’abondance furent plongés dans le besoin ; des centaines de familles furent réduites à la pauvreté et au manque du nécessaire. Theal atteste que, de son temps, beaucoup vivaient encore qui se souvenaient des privations qu’ils avaient eu à souffrir dans leur enfance, qui se rappelaient que leurs parens moururent indigens ; que d’autres, riches la veille, se virent subitement dans la nécessité de mendier leur pain.

Une autre cause avait contribué à la ruine des Boers. Les fonctionnaires du gouvernement jouissaient de revenus si élevés, qu’il se produisit une disette d’argent : il fallut y remédier par l’émission de billets de banque de 4 shillings (5 francs). En 1824, le gouvernement de Londres retira ces billets, qui furent payés 1 fr. 95 par billet. Les colons perdirent ainsi plus de la moitié de leur avoir, et ils appelèrent banqueroute frauduleuse l’opération dont ils étaient victimes.

Mais le grand grief, c’était la question cafre. Les Boers avaient appris à leurs dépens à connaître de près les Cafres, tandis que