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déclara ne vouloir donner aucun ordre, mais laisser chacun libre de l’accompagner.


IV

Retief partit le 1er février pour faire sa dernière chevauchée. Une troupe choisie l’accompagnait : ils étaient 66 cavaliers, l’élite des émigrans ; 30 Hottentots les suivaient comme serviteurs. Ils marchaient gaiement vers l’Est, sans que l’ombre de leur destinée prochaine traversât leur chemin. Et cependant les cœurs inquiets de ceux qui restaient entrevoyaient des malheurs. Au bout de deux jours de marche, les braves atteignirent le kraal du chef. Dingaan ne s’attendait pas à les recevoir si tôt, car, la veille même, il avait prié M. Owen, missionnaire protestant attaché à sa personne, d’envoyer une lettre à Retief et de lui recommander d’arriver avec tous ses gens et tout son bétail, mais de laisser les chevaux. Cette recommandation finale était significative et eût ouvert les yeux à Retief, si la plus aveugle confiance ne l’eût dominé jusqu’au dernier moment, lui et ses compagnons.

Les Boers furent reçus en grande pompe par Dingaan, entouré de tout son monde. Retief lui délivra le bétail qu’il avait repris à Sikonyella, et Dingaan lui témoigna sa satisfaction par des réjouissances, des danses et des simulacres de combat. Le lendemain, il fit rédiger en langue anglaise, par le missionnaire Owen, un document qu’il signa de son sceau, avec six témoins, et dans lequel il déclarait qu’en échange du service que lui avait rendu le gouverneur des Afrikanders, le roi des Zoulous lui cédait en perpétuelle propriété le lieu nommé « Port-Natal » avec tout le pays situé entre la Tugela et l’Unzimvubu. Les historiens boers, tels que Kestell et Cloete, reconnaissent loyalement qu’on ne peut attacher une grande valeur à ce document, car il semble que les chefs zoulous ne pouvaient avoir la notion exacte d’un acte tel qu’une cession de terres ; et, même s’ils le comprenaient, ils n’eurent jamais l’intention de tenir leurs engagemens. De semblables cessions de terres avaient déjà été consenties antérieurement par Dingaan et par son prédécesseur Chaka. Ce n’est donc pas dans le traité conclu avec Dingaan qu’il faut chercher le droit des Voortrekkers sur le Natal, mais dans le fait même de leur prise de possession d’un territoire vacant, qu’ils trouvèrent complètement inhabité lorsqu’ils l’occupèrent, et où ils conquirent