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dessus est d’un jaune d’or : c’est le reflet des vagues. — Une vive lumière peut éteindre la couleur propre d’un objet et lui en donner une autre. Le 9 mai dernier, les passans qui considéraient la Seine et l’horizon dentelé de l’Exposition vers six heures et demie du soir, de la place de la Concorde, n’apercevaient qu’un brouillard lumineux çà et là piqué de points d’or. Dans la splendeur du couchant toute forme avait disparu, seulement le haut des deux mâts de la porte monumentale brillaient à droite comme des torches qui commencent à prendre feu. De l’autre côté de la Seine, deux dômes brillaient d’un éclat exactement pareil : l’un appartenait au palais de l’Italie, qui est tout doré, l’autre à celui des États-Unis, qui est blanc avec de simples filets d’or, — et le soleil les confondait dans le même éclat. Enfin au-dessus d’eux une cloche d’or suspendue dans un campanile d’argent lui-même, soutenu en l’air par des forces invisibles, voilà tout ce qui restait de la tour Eiffel...

Ainsi de la figure humaine. Dès qu’elle est plongée dans un milieu composé de couleurs éclatantes et diverses, elle en reflète les éclats et les diversités. Une foule de silhouettes sont formées sur elle par ce paysage, par les ombres des branches, par les lentilles de lumière, comme des arabesques et des ramages sur un vêtement. Si vous regardez avec attention la petite Paysanne assise de M. Pissarro, vous apercevrez que si la silhouette suivait les limites de la couleur, vous pourriez réduire son bras à presque rien, car toute une moitié n’en est que la continuation du ton de l’herbe. Et partout le paysage l’envahit et la tatoue à tel point qu’elle est près de se dissoudre dans le vert ambiant, selon la formule fameuse des Déliquescences :


Ah ! verte, verte, combien verte
Était mon âme ce jour-là !


C’est de la peinture caméléonne. Les objets prennent les teintes des milieux où ils sont plongés et pour ces peintres, nous sommes comme ces poissons qui changent de couleur selon les eaux qui les reçoivent. Est-ce là une vue plus fausse de la nature ? Est-il une couleur immuable appropriée à une chose ? Est-il un sentiment qui colore d’une façon indélébile une âme ? Le flot bleu, en arrivant contre un récif, s’élève, se brise et devient blanc : c’est pourtant la même eau... l’angle d’une table noire, touché par le jour de la fenêtre se sertit de blanc bleuâtre ; c’est pourtant