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caractère indigène et qu’il redoutait peut-être des conversions trop fréquentes et contradictoires, il eut la précaution de faire édicter qu’un enfant ne pourrait pas changer d’école plus d’une fois au cours de la même année scolaire. Quoi qu’il en soit, la législation antérieure et l’exemple de la cour avaient porté leurs fruits. Les méthodistes de la London Missionary Society, avec une dépense annuelle de 800 000 francs, entretenaient à Madagascar 40 missionnaires, 1 400 églises, 1 290 écoles, 3 collèges pour former des pasteurs et instituteurs indigènes, 2 écoles supérieures, 2 hôpitaux, etc., et comptaient 63 000 fidèles et 75 000 élèves, recrutés pour la plupart dans les castes gouvernementales, nobles ou bourgeois. Les quakers, avec 19 missionnaires, tenaient 120 écoles, 1 mission médicale formant des médecins indigènes ; les anglicans, disposant de 14 pasteurs, ne s’occupaient que de prédication sur le plateau central[1]. Quant aux jésuites, avec un budget annuel de 200 000 francs[2] et un personnel de 116 Français, y compris 16 Frères des écoles chrétiennes et 27 Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, ils avaient réussi à former 700 instituteurs et institutrices malgaches, enseignaient notre langue à 27 000 élèves, appartenant presque tous aux classes populaires, et estimaient à 136 000 les adhérens qui fréquentaient leurs 330 églises ou chapelles[3].

Il n’y aurait eu qu’à laisser faire et à laisser dire si la rivalité de ces diverses missions n’eût impliqué que des querelles religieuses, « chacun ici-bas étant libre de faire son salut à sa façon, » suivant l’énergique expression du roi de Prusse, Frédéric le Grand. Malheureusement, l’histoire ne se défait ni ne se refait en quelques semaines. La question religieuse à Madagascar était en réalité une question politique, et une question politique des plus complexes, parce qu’elle était à proprement parler internationale. Le fait brutal, éclatant, inquiétant, était celui-ci : parmi les protestans, il n’y avait ni un Français ni un ami de la France. Anglais était l’argent, anglais le personnel, anglais l’enseignement. Au contraire, par la force des choses, bien avant qu’il eût été question pour nous d’occuper l’île, tous les élémens

  1. Il y avait aussi quarante-cinq missionnaires luthériens, d’origine norvégienne, infiniment moins mêlés que les Anglais aux luttes politiques locales, qui étaient répartis en Emyme, dans le Betsileo et chez les Sakalaves.
  2. Ce chiffre comprenait une subvention de 20 000 francs, qu’ils tenaient de l’État depuis un assez grand nombre d’années.
  3. Quelques lazaristes étaient, en outre, installés depuis peu à Fort-Dauphin.