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ce sont des quartiers neufs qui s’élèvent, mais pour rester à moitié vides, parce que l’on a trop poussé la construction. Partout, c’est, du plus au moins, un mouvement d’expansion saccadé, aveugle, le désarroi résultant du caractère impétueux et soudain de cette invasion d’un nouveau genre, que ni les pouvoirs publics, ni les particuliers n’avaient vue venir à temps, et pour laquelle ils n’étaient pas préparés.

Des doléances amères retentissent dans les campagnes. La gaîté et l’entrain s’y font plus rares, les capitaux dont elles auraient besoin suivent le flot migrateur ; mais cette perturbation n’affecte pas moins gravement les villes, où se multiplient les sans-travail, dont la plupart ont en perspective des destinées plus tristes que celles des plus mal partagés d’entre les agriculteurs.

Cette rupture de l’ancien équilibre démographique entre les campagnes et les villes, avec ses profondes et multiples répercussions sur le bien-être général, constitue, à n’en pas douter, un des événemens les plus caractéristiques de ce siècle finissant, qui ne nous a pourtant pas épargné ses surprises. On peut même se demander si jamais il s’est produit, dans la structure intérieure des nations, des changemens aussi considérables.

Un tel spectacle provoque la réflexion. À cette heure où des romanciers s’en inspirent et en émeuvent leurs lecteurs, à force d’en avoir été saisis eux-mêmes, il serait étrange que le côté sociologique de ce grave problème ne sollicitât pas particulièrement l’intérêt. C’est ce côté-là du sujet que nous voudrions considérer aujourd’hui, mais on voudra bien nous permettre encore une remarque avant d’entrer dans le vif du sujet.

Il est très ordinaire d’entendre opposer les termes de « campagnes » et de « villes », comme s’ils représentaient une alternative absolue, deux pôles entre lesquels l’option fût forcée. Il n’en est pourtant pas ainsi et les choses ne se présentent point avec ce degré d’opposition tranchée. En réalité, bien des gens cessent d’appartenir à la classe agricole sans aller se fixer dans des centres, sans devenir des citadins. Ils s’embauchent dans des usines rurales, ils entrent dans les mines, les entreprises de transport, les services de l’État, tels que police, postes, douanes, enseignement public, ou encore ils restent au village, mais en changeant d’outils, en remplaçant l’agriculture par d’autres occupations, devenant, par exemple, petits industriels, artisans ou