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globe. Il y avait trop de monde dans le monde ! Le voyageur Arthur Young, qui parcourait la France de 1787 à 1790, écrivait ces lignes : « Le mal dominant du royaume, c’est de posséder un si grand nombre d’habitans qu’il ne peut les employer ni les nourrir : pourquoi donc encourager le mariage ? » Il est évident, toujours dans les idées du temps, que la désertion des campagnes eût précipité le moment fatal où, comme les passagers de certain petit navire d’un de nos chants populaires, l’humanité allait se trouver face à face avec le manque de vivres. Butini, auteur d’un traité sur le Luxe paru en 1774, s’indigne de voir certains riches s’entourer de valets qu’ils enlèvent à l’agriculture sans souci des conséquences : « Il serait essentiel, écrit-il, de limiter le nombre des domestiques et de renvoyer à la charrue tant de valets aussi oisifs que leurs maîtres, puisque les campagnes voisines se dépeuplent tous les jours et que les grains et les denrées nécessaires montent à un prix auquel les ouvriers ne peuvent que difficilement atteindre. » Nous n’en sommes plus à ces cauchemars.

Un premier fait dont nous avons été témoins, ç’a été la colonisation de territoires immenses que jamais encore n’avait déchirés le soc de la charrue, et qui sont venus élargir considérablement le domaine préparé par la nature pour l’alimentation des hommes ; mais ceci est peu encore à côté des progrès réalisés dans la manière de cultiver le sol. Le machinisme agricole a permis d’opérer, à peu de frais, certains travaux qui ne s’exécutaient autrefois qu’avec un grand renfort d’ouvriers. Divers agens chimiques doués d’une puissance extraordinaire ont communiqué la fertilité à des terrains qui ne donnaient qu’une faible récolte. Les denrées ont afflué comme par enchantement sur tous les marchés, au point que leur abondance même est devenue l’une des causes de la crise agricole que nous traversons. Les terreurs de Malthus et de ses disciples sur l’imminence d’une disette chronique, sont donc dissipées. On nous dirait que le rendement du sol devrait être doublé, triplé, décuplé même, pour faire face aux exigences actuelles, que le problème ne serait pas pour nous arrêter absolument. Pourquoi, dès lors, nous alarmer si les villes grandissent partout, au détriment des campagnes ? L’humanité future n’est pas menacée de manquer de pain.

Mais ce n’est pas sous les seules doctrines de Malthus que les esprits se débattaient il y a un siècle ; celles des physiocrates