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Ici je revoyais une draperie de R. Van der Weyden, des anges de Memling, un portrait de Hugo Van der Goes ; là j’admirais des cortèges entiers de chevaliers, — tel celui que Benozzo Gozzoii peignit au palais Riccardi de Florence, — qui semblaient comme une fraction, un prolongement du cortège des pèlerins et des beaux guerriers de l’Adoration. Le chef-d’œuvre de Pinturrichio, l’histoire du pape Pie II, qui décore la Libreria de Sienne, m’est apparu avec son coloris frais, ses paysages clairs, son style encore hiératique, ses belles figures de légendes, comme un pendant, démesurément agrandi, de la Chasse de sainte Ursule, la petite joaillerie picturale de Memling que l’on conserve à l’Hôpital de Bruges.

Je ne suis point le premier, certes, à constater la révolution accomplie dans l’art italien par la peinture flamande, si voisine encore à cette époque de la miniature. Le critique qui a le mieux connu la période bourguignonne, M. de Laborde, l’a signalée il y a plus de cinquante ans ; Burckhardt, l’historien le plus renseigné que l’art italien ait eu jusqu’à nos jours, écrivait vers 1860 dans son célèbre Cicerone : « Parmi les écoles italiennes, il n’en est aucune (à l’exception de quelques maîtres de Naples) qui ait été au fond déterminée par les Flamands ; mais il n’en est point non plus qui ait échappé complètement à leur influence. » Or la découverte d’un nouveau procédé, d’une nouvelle technique picturale avait forcé les Italiens, si maîtres pourtant de leur style, à imiter les Flamands. On devine facilement, en effet, l’impression considérable que dut produire la peinture de Van Eyck. Les princes tels que le duc d’Urbin, Laurent de Médicis, Alphonse Ier roi de Naples, s’empressèrent d’acheter les tableaux flamands. Les artistes admis à les contempler s’en émerveillaient comme d’autant de prodiges et, détail bien typique, flairaient, paraît-il, la vive odeur répandue par l’huile. C’est du moins ce que raconte Vasari, — toujours un peu sujet à caution, il est vrai ; — le vieil historien nous narre aussi une aventure dramatique, exacte dans le fond, qui montre jusqu’à quel degré les quattrocentistes étaient bouleversés par l’invention flamande. Voici l’histoire :

Le peintre vénitien, Antonello de Messine, était parvenu, on ne sait encore trop comment aujourd’hui, à découvrir le secret de Van Eyck. Il le communiqua à son tour à Domenico, artiste de valeur et galant cavalier qui partait pour Florence. Dans cette ville, Domenico fit la connaissance de deux maîtres célèbres :