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que l’on revêtit successivement des dignités d’ « ingénieur des armées royales, » et de « garde des monnaies, » était un personnage de grande mine, de culture accomplie, d’une pondération morale intellectuelle et artistique remarquable.

Ces peintres savans et probes préparaient la gloire de l’école d’Anvers. Certes la dispersion de leurs goûts nuisait à l’équilibre, à la force de leur production picturale. Lentement, inconsciemment, ils apportaient une vie nouvelle à l’art en recomposant la palette flamande avec les ressources italiennes. De nouveau, une simple conquête technique assurait l’avenir de la peinture dans les Pays-Bas. Attirés par l’Italie, les romanisans avaient interrogé vainement les Florentins et les Romains. L’éclat des Vénitiens enfin les attira. Venise était la ville d’Italie qui avait le mieux retenu la leçon apportée autrefois par les maîtres brugeois. Véronèse, le Titien, le Tintoret, brillaient comme autant de flambeaux allumés au foyer jadis éclatant de la Venise du Nord. Les Flamands reconnurent des frères, des hommes de la même race artistique, des éducateurs naturels, dans ces opulens coloristes vénitiens formés par Antonello de Messine et les Bellini à la sévère discipline gothique. La peinture flamande dès ce moment était sauvée. Un homme de génie, P.-P. Rubens, allait s’approprier cette technique vénitienne, la soumettre à son imagination toujours active, lui communiquer par la magie de son œil et de sa main infaillibles une originalité soudaine, comme les pulsations mêmes de son âme, puis s’en servir pour tracer une épopée picturale, la seule qui, jusqu’à présent, ait exprimé tout à la fois l’expansion, la vigueur, l’enthousiasme de la race flamande.

V

À deux momens décisifs de l’art, Van Eyck et Rubens reçurent pour mission d’harmoniser des élémens épars, d’apporter l’ordre et la lumière dans l’idéal confus de leur temps, de synthétiser dans leur création toute l’humanité d’une époque. Van Eyck nous fait voir l’âme de ses personnages à travers une réalité scrupuleuse. Dans l’œuvre de Rubens les lignes humaines sont interprétées plus librement. L’âme ne s’enferme plus dans une enveloppe transparente ; elle est projetée hors des corps, elle se répand dans l’air. La vie ne s’enferme plus dans les chairs ; elle flotte autour du tableau ; elle est plus indépendante qu’en aucune autre