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anglaise que vient d’en publier M. W. H. Wilkins. Combien nous eussions préféré qu’un écrivain français, suivant le conseil de Blaze de Bury, prît l’initiative de « débrouiller » pour nous le « chaos » des manuscrits de Lund ! Combien les lettres de la princesse Sophie-Dorothée, en particulier, nous auraient touchés et charmés davantage dans la langue où elles sont écrites ! Car Blaze se trompe lorsqu’il nous dit qu’elles sont, pour la plupart, « en chiffres : » les chiffres, ou encore des pseudonymes, n’y servent qu’à remplacer certains noms, du reste fort aisés à retrouver ; et, pour le reste, les lettres de la princesse de Hanovre sont vraiment écrites dans le français le plus élégant, — à en juger du moins par les quelques passages que cite M. Wilkins, — ce qui d’ailleurs n’est pas aussi méritoire chez une « étrangère » que parait le supposer Blaze de Bury, lorsque l’« étrangère » se trouve être, comme Sophie-Dorothée, la fille d’une Française, et n’avoir jamais reçu qu’une éducation toute française.

C’est en français qu’aurait dû paraître, d’abord, cette correspondance. Et nous ne pouvons nous empêcher d’espérer qu’on nous en offrira quelque jour le texte français, son authenticité étant désormais prouvée, et son « chaos » à peu près débrouillé. Alors seulement nous pourrons goûter sa valeur littéraire ; alors seulement la critique historique pourra nous renseigner sur l’importance des renseignemens divers qui y sont contenus : importance qui paraît bien être en effet assez considérable, car toutes les lettres des deux amans sont parsemées de détails curieux sur l’histoire intérieure et extérieure du Hanovre à la fin du XVIIe siècle ; et une longue série de lettres de Kœnigsmarck est presque entièrement consacrée au récit de la campagne des Flandres de 1692, où l’officier suédois a pris une part des plus actives, et dont il ne se lasse point de décrire les moindres événemens à sa maîtresse, peut-être pour la divertir, peut-être pour éviter de répondre aux reproches qu’elle lui fait de ses galanteries.


Mais, en attendant que nous puissions porter sur ces lettres un jugement d’ensemble, la traduction anglaise que vient d’en publier M. Wilkins, avec les copieux et minutieux commentaires dont il l’a entourée, suffit à nous faire connaître, infiniment mieux que tous les récits des historiens ou des romanciers, le caractère des deux héros de la tragique aventure de Hanovre, et les sentimens divers qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Si incomplète et décousue qu’elle soit, et en raison même de son évidente authenticité, leur correspondance est le plus instructif des romans d’amour. Deux cœurs s’y révèlent à