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que, M. le Président du Conseil leur ayant donné satisfaction par l’énergie de son langage, ils voteraient le projet de loi. Qu’avait dit M. Waldeck-Rousseau ? Que la juridiction régulière avait prononcé sa sentence définitive, et que si un autre jugement pouvait être rendu, ce n’était plus que par l’histoire. Comme chacun fait l’histoire à sa manière, tout le monde pouvait se trouver d’accord pour lui remettre la suite de l’affaire. Mais, en attendant que l’histoire parle, nous craignons qu’on ne continue de parler beaucoup pour elle, et que, dès lors, l’amnistie ministérielle ne soit un bien faible moyen de produire l’apaisement. Veut-on l’apaisement ? Le veut-os avec sincérité ? Alors, il aurait fallu faire l’amnistie plénière, c’est-à-dire l’étendre aux condamnations de la Haute Cour, Nous ne parlons pas ici dans l’intérêt de MM. Déroulède et Marcel Habert : ils sont certainement beaucoup mieux à Saint-Sébastien qu’ils ne le seraient en France, plus libres de soucis, plus à même de voir venir les choses sans avoir l’obligation de s’y mêler et peut-être de s’y compromettre. Mais on a répété à satiété, dans la discussion du Sénat, qu’une amnistie n’était pas faite pour quelques personnes : elle est faite pour tout le monde, elle a pour but l’intérêt général. A-t-on du moins donné contre son extension aux condamnés de la Haute Cour des argumens de fond, propres à la condamner dans son principe ? Point : on s’est contenté de dire qu’elle était prématurée, que l’heure n’en était pas encore venue, enfin qu’il valait mieux en laisser l’initiative au gouvernement, toutes raisons qui portaient sur l’opportunité immédiate de la mesure et non pas sur la mesure elle-même. A parler franchement, on trouvait qu’il ne s’était pas encore écoulé assez de temps depuis des condamnations qu’on paraîtrait désavouer par une amnistie trop rapide. Mais si on craignait que le Sénat ne se rappelât qui’il s’était appelé la Haute Cour, et qu’il ne vît dans l’amnistie un acte hâtif et précipité de nature à provoquer ses susceptibilités, on s’est trompé. Malgré l’opposition du gouvernement et de la commission, plus de cent voix se sont prononcées en faveur de l’amnistie étendue et immédiate. La majorité contraire n’a été que d’une soixantaine de voix, de sorte qu’il aurait suffi d’en déplacer une trentaine pour que la proposition de MM. Milliard et Fruchier fût votée. Aussitôt qu’un ministère le voudra, il opérera ce déplacement sans la moindre peine, et s’il ne le veut pas assez vite, le déplacement s’opérera sans lui, ou même contre lui. L’élection de la commission de la Chambre en est une preuve nouvelle. Nous avons dit que sa majorité était favorable à l’élargissement