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nement n’en soit aussi brutale que l’a été la résolution. C’est à l’indépendance même des deux républiques qu’il en veut, M. Chamberlain l’a déclaré en termes formels, et lord Salisbury l’a fait à son tour en termes qui, pour être plus enveloppés, n’en sont pas moins inexorables. Si l’annexion de l’État libre y a rallumé la guerre, une mesure analogue produirait le même effet dans le Transvaal. On ne sait jamais à quel moment un pays a épuisé ses dernières ressources : il en retrouve qu’il ne se connaissait pas lui-même, lorsque son indépendance même et sa vie nationale sont en jeu. Le désespoir donne alors de nouvelles forces, et c’est au moment où la résistance paraissait définitivement vaincue qu’elle renaît sous une autre forme d’autant plus difficile à vaincre, cette fois, qu’elle est plus insaisissable. Chaque motte de terre, chaque pierre peut cacher un fusil. À côté des difficultés de l’ordre militaire, des difficultés politiques sont également à redouter. Les manifestations qui viennent de se renouveler, ces derniers jours, dans la colonie du Cap montrent que tous les colons de race hollandaise sont de cœur avec les Boers de l’Orange et du Transvaal : ils sont prêts à faire cause commune avec eux, si l’Angleterre prétend supprimer leur indépendance. Que vaudrait cette menace dans la pratique ? Nous l’ignorons, mais il serait à coup sûr imprudent de la regarder comme tout à fait négligeable. Au point où en sont les choses, nul ne songe à disputer à l’Angleterre les résultats de ses victoires. Les Boers eux-mêmes seraient les premiers à les accepter comme inévitables, si les vainqueurs, soit par générosité, soit par politique, s’imposaient à eux-mêmes de certaines limites. Lord Salisbury a parlé de mesures à prendre pour que la guerre actuelle ne puisse pas recommencer. Nous n’avons garde de contester ce que ce vœu a de légitime : mais la parole sibylline du premier ministre de la Reine peut être prise dans des acceptions très diverses, il n’a pas dit clairement celle qu’il y attachait lui-même. Il est sûr que l’annexion, lorsqu’elle serait définitivement faite, c’est-à-dire acceptée et passée dans les mœurs, empocherait la guerre de recommencer : mais quand sera-t-elle ainsi faite ? Pour le moment, si on la proclame, elle n’aura d’autre effet que d’empêcher la guerre de finir, et de condamner les deux belligérans à de nouvelles effusions de sang. Barbarie bien inutile ! Les manières abondent de prévenir une guerre nouvelle que les Boers, après l’épreuve qu’ils viennent de subir, n’auront certainement jamais l’envie de susciter. La meilleure de toutes est de laisser aux deux républiques des insti-