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tutions qui leur permettent de conserver une individualité propre, et d’éprouver le sentiment qu’elles continuent de former, sous l’hégémonie britannique, des nations qui n’ont pas cessé d’exister. Le problème, ainsi posé, n’est pas difficile à résoudre : mais on se le pose autrement à Londres. On paraît y croire qu’il est encore plus simple de prononcer purement et simplement l’annexion immédiate. On le peut sans doute : mais, si on le fait, il faut s’attendre à ce que la guerre se prolonge longtemps encore, et à ce qu’elle laisse dans tout le pays des fermens de révolte que l’on n’y étouffera jamais complètement. L’Angleterre choisira entre l’emploi de la modération et celui de la force. Ce qui devrait, semble-t-il, lui conseiller la première de ces politiques, c’est ce qui se passe dans le reste du monde, et particulièrement en Chine. Les renseignemens arrivés jusqu’ici sont trop incomplets pour permettre de se faire une idée tout à fait exacte du danger qui menace les Européens en Extrême-Orient ; mais ces dangers sont très graves, et ils risquent de le devenir chaque jour davantage. Évidemment, le Céleste Empire nous réserve encore beaucoup de surprises. Les événemens actuels montrent qu’on aurait tort d’espérer que son accession à la civilisation occidentale puisse se faire sans des commotions violentes. Tout y paraissait tranquille à la surface. Les Européens les plus initiés aux mœurs du pays pouvaient croire et croyaient en effet que leur sécurité n’y courrait aucun péril immédiat. C’était ne pas tenir assez grand compte de la duplicité de l’âme asiatique. Il y a quelques mois, une révolution de palais avait déjà été pour l’Europe un premier avertissement. La vieille impératrice Tsou Hsi avait placé l’empereur, son neveu, sous sa tutelle, dans des conditions qui le mettaient fort au-dessous de nos vieux rois fainéans. L’empereur vit encore, mais on sent qu’il faudrait peu de chose pour qu’il cessât de vivre, et que la moindre velléité d’indépendance pourrait lui coûter plus que la couronne. En Europe, personne ne se souciait du jeune empereur plutôt que de la vieille impératrice, et, puisque celle-ci voulait régner, tandis que celui-là paraissait y tenir moins et y était probablement moins propre, on ne s’est pas mis en peine d’un changement auquel l’opinion n’a attaché qu’un intérêt anecdotique. Les diplomates ont cherché à supputer laquelle des grandes puissances, dans cette nouvelle attribution du pouvoir, aurait le plus d’influence au palais ; mais, comme aucune d’elles n’est arrivée à une prépondérance absolue, les autres ne se sont pas alarmées, et, pendant quelque temps encore, les choses ont marché comme aupara-