Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans des régions encore dépourvues de chemin de fer. « L’abolition de l’esclavage n’est pas réalisable actuellement, dit un administrateur colonial[1], parce qu’elle entraînerait de trop grands dommages au point de vue économique. En effet, la culture des terres est principalement dans la main des esclaves : elle serait presque entièrement abandonnée, s’ils étaient rendus à la liberté. » C’est pour la même raison que le gouvernement anglais n’a pas osé étendre au territoire continental du sultan de Zanzibar le bénéfice du décret d’abolition, tant que le chemin de fer de Mombasa vers l’Ouganda ne sera pas terminé, de peur de désorganiser le travail des plantations exécuté par des esclaves qui, s’ils étaient libérés, iraient s’embaucher pour le travail. Beaucoup de noirs sont aussi employés à l’exportation des produits de l’intérieur : à défaut de véhicules et même souvent d’animaux de bât, ce sont eux qui transportent l’ivoire, la ferronnerie, les noix de kola et surtout les briques de sel gemme, tirées des bas-fonds d’idjil et de Taodéni (Adrar). Ce sel est troqué par les Maures contre des esclaves, qui sont appelés en plusieurs lieux du nom méprisant de « prix du sel » (gemt-el-melka), Aussi le colonel Hinger a-t-il observé, avec raison, que « lorsque les Européens pourront faire parvenir le sel à un prix raisonnable au cœur de la bourle du Niger, non seulement on aura rendu un réel service aux hnbitans en faisant baisser considérablement le prix du sel des Maures, mais encore on diminuera la traite. »

Enfin, la polygamie et le besoin d’avoir une sorte de monnaie humaine sont aussi des causes qui maintiennent l’esclavage. La multiplicité des femmes, en Afrique, comme dans plusieurs archipels de l’Océanie, n’est pas seulement une affaire de luxe ; c’est un besoin du ménage et une conséquence des égards que le nègre a pour la femme mère et nourrice. Les soins du ménage sont si nombreux, qu’une seule femme ne pourrait suffire à toute la besogne. Tandis que les unes allaitent leurs enfans jusqu’à l’âge de trois ans, d’autres vont chercher l’eau, manipulent la farine et préparent les alimens. Or beaucoup de ces femmes sont esclaves : ce qui a fait dire à Serpa-Pinto, que « l’abolition de l’esclavage dans l’Afrique australe n’aura lieu que lorsque la polygamie aura cessé chez les noirs. » Aussi les jeunes négresses sont-elles recherchées de préférence pour être vendues dans les

  1. Rapport du gouverneur de l’Afrique orientale allemande (30 oct. 1893).