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sur ce point, il avait laissé prendre l’avance à l’Angleterre. Ce fut sur les instances de lord Castlereagh que le congrès de Vienne abolit le commerce des esclaves et c’est à la suite de Sa Majesté britannique que Louis XVIII s’engagea dans la voie de la répression des négriers[1]. L’Angleterre a le mérite d’avoir été la première à abolir l’esclavage dans toutes ses colonies (1833).

À défaut de rois ou d’empereurs, la France du moins peut citer avec fierté des citoyens qui dénoncèrent, sans se lasser, le fléau de l’esclavage et de la traite à l’indignation de l’opinion et des pouvoirs publics. L’abbé Grégoire, par ses écrits sur la littérature des nègres (1810), sur la traite des noirs et des blancs et sur les peines infamantes à infliger aux négriers (1816) contribua largement à rendre populaire la cause de l’abolition. Puis le duc Victor de Broglie, pair de France, entra en scène et fut le premier qui, dans un Parlement européen, éleva la voix en faveur des esclaves. Dans la séance du 23 mars 1822, il présenta à la Chambre des pairs une proposition tendant à « supplier le Roi de se faire représenter les traités, en vertu desquels la France s’était engagée à abolir le commerce dit « traite des noirs » aussi bien que les lois et ordonnances à cet effet ; de se faire rendre compte des faits qui prouvaient que, malgré ces lois, ce commerce se continuait sous pavillon français ; et, enfin, de faire préparer dans ses conseils les mesures et projets de loi propres à mieux assurer l’exécution des traités sus-énoncés. » Quelques jours après, il prononçait un discours, à l’appui de sa proposition. Après avoir constaté, d’après des documens officiels, plusieurs faits de traites commis à l’abri de notre pavillon de 1816 à 1820, il s’écriait : « Les engagemens pris au nom de l’État ne sont point accomplis, les lois rendues par vous n’ont pas atteint leur but. Il faut maintenir l’honneur de la France aux yeux de l’étranger, il faut faire respecter vos volontés. » Le duc de Broglie aboutit à cette double conclusion. Il faut, à tout prix, mettre un terme à la traite, source de l’esclavage. Quant à ce dernier, on ne peut songer à l’abolir immédiatement ; il faut engager les colons à traiter les esclaves avec douceur, à favoriser entre eux les mariages, à les assister dans l’éducation de leurs enfans et à préparer, par une gradation volontaire, les nouveaux rapports, qui doivent exister quelque jour entre maîtres et esclaves (séance du 28 mars).

  1. Article additionnel du traité conclu entre Louis XVIII et le roi de Grande-Bretagne (31 mars 1814).