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qu’il avait voulu défendre, — ni la sédition menaçante qu’il avait dû réprimer lui-même dans le sang au Champ de Mars, à la Fédération de 1791, — ni les décrets de la Convention lui enlevant son commandement militaire et l’obligeant d’aller chercher un refuge dans les prisons de l’étranger, — ni les jours, pénibles à supporter, de la dictature impériale, ne l’avaient averti du désastre et des humiliations qui suivent les entraînemens révolutionnaires. Aucune déception non plus ne lui avait appris combien sont trompeurs et passagers les applaudissemens de la foule, et il s’y abandonnait, au contraire, avec d’autant plus de complaisance qu’il en avait été plus longtemps sevré. Terreur, Convention, Empire, ce n’étaient à ses yeux que des déviations momentanées d’un noble courant : il suffisait pour le purifier de remonter à sa source. Cette fixité de sentimens expliquait même le parti qu’il avait pris d’accepter la monarchie à l’Hôtel de Ville, au lieu de laisser proclamer la République, qui l’aurait certainement appelé à la Présidence. Beaucoup s’en étonnaient ; quelques-uns lui en savaient gré. Je crois en vérité qu’il n’y avait même pas songé. Le mot de république lui rappelait d’importuns souvenirs qu’il était pressé d’écarter. La France avait à ses yeux un type de constitution tout dressé, c’était la monarchie démocratique votée par l’assemblée constituante, la monarchie, comme il aimait l’appeler, entourée d’institutions républicaines. A quoi bon chercher ailleurs ? aussi la seule chose dont il se plaignit déjà c’était de n’avoir pas été consulté à temps sur la révision de la charte : il n’aurait pas manqué d’entourer la royauté nouvelle de toutes les précautions défiantes dont lui seul ne se souvenait pas combien le malheureux Louis XVI avait souffert. Que rien absolument ne fût changé chez La Fayette, c’est ce qu’attestait même son apparence extérieure. C’était bien toujours, par un contraste vraiment piquant, la tenue correcte et distinguée de l’homme de cour, nullement altérée par le contact de tant de sociétés d’allures très différentes qu’il avait dû fréquenter ; une courtoisie empressée qui n’avait rien de la fraternité démocratique ; des idées de date récente, exprimées avec les locutions d’autrefois ; et, si on ose descendre à ce détail puéril, un parler légèrement nasillard qui était, je crois, l’accent de Versailles. C’est au point que, quand il rendait visite à mes parens (avec qui le souvenir de sa vive amitié pour Mme de Staël lui fit conserver des relations jusqu’à son dernier jour), j’étais frappé de sa ressemblance avec de vieux oncles