Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1848, entre ceux qui mettaient toute leur confiance dans les affinités naturelles ou électives des peuples et ceux qui croyaient indispensable de faire intervenir la force au service des nationalités menacées ou opprimées, il y avait divergence quant à l’action pratique ; mais, de part et d’autre, on caressait le même idéal et l’on prenait essor vers les mêmes cimes, dont Lamartine lui-même, peu d’années auparavant, avait, dans la Marseillaise de la Paix, dessiné les augustes contours.

C’est de cette époque, c’est de la plantation des arbres de la liberté que datent les premiers efforts tentés sur le continent pour grouper en congrès les champions de la sainte-alliance des peuples et coaliser entre eux les adeptes d’un certain humanitarisme. La Société de la Morale chrétienne, fondée à Paris en 1821 à l’imitation de la Société anglaise de la Paix, n’avait été rien de plus qu’un édifiant groupement, d’allures fort peu révolutionnaires, et d’une portée politique parfaitement insignifiante ; et le Congrès de Londres de 1843, — auquel n’assistait qu’un seul Français, La Rochefoucauld-Liancourt ; — le Congrès de Bruxelles de 1848, où l’on ne vit d’autre homme politique français que le constituant Francisque Bouvet, furent surtout des actes de bonne volonté. Le Congrès de Paris, de 1849, fut imposant comme l’est toujours un symbole : il incarnait exactement l’esprit du temps, les aspirations généreuses dont bouillonnaient les contemporains, les illusions dont ils s’abusaient, et cet irrésistible besoin d’effusions fraternelles auquel s’abandonnait leur tendresse.

Dieu planait sur l’assemblée : Hugo, qui présidait, était son prophète ; et derrière le fauteuil du poète, l’abbé Deguerry et le pasteur Coquerel, ses ministres, s’embrassaient ; la salle applaudissait au progrès, « un des noms humains du Dieu éternel. » D’éloquens synchronismes, commentés par le verbe opulent d’Hugo, étaient comme les complices de la fête : d’un geste puissant, il effaçait de l’histoire le 24 août 1572, date de la Saint-Barthélémy, pour y inscrire le 24 août 1849. Car ce jour-là et les deux jours précédens, devant deux mille personnes, au nom de l’Evangile, il avait, lui Hugo, signifié à la France, à l’Angleterre, à la Prusse, à l’Autriche, à l’Espagne, à la Russie, qu’un jour les armes leur tomberaient des mains ; il avait entrevu les États-Unis d’Europe et les Etats-Unis d’Amérique tendant leurs bras par-dessus les mers ; il avait fait voter des invitations aux éducateurs de la jeunesse et aux ministres du culte pour qu’ils secondassent