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bonheur ce pacte fraternel. » Que si l’on eût objecté qu’en 1849 même, ce fameux parlement s’était montré passablement insouciant des autres démocraties, qu’il avait, dans toute la force du terme, envoyé promener Arnold Ruge plaidant pour la Pologne et approuvé quelques phrases de Jordan cavalièrement malveillantes pour cette nation déchue, Garnier-Pagès eût répondu, sans doute, qu’il manquait à la démocratie allemande, à cette date, ce complément d’éducation cosmopolite dont la démocratie française était la meilleure dispensatrice. Et si, lui faisant une objection plus prochaine, on le conviait à observer l’avènement d’une figure historique nouvelle, M. de Bismarck, Garnier-Pagès répondait en toute sécurité : « Bismarck a entrepris une chose impossible ; il ne la réalisera pas ; il n’a rien fondé de durable, rien qui puisse nous inquiéter. » Volontairement, il était en retard de vingt ans ! et le voyage qu’il avait fait en Allemagne, au moment de la guerre des Duchés, avec son ami Desmarets, avait achevé de l’aveugler. Se laissant circonvenir par ses idées préconçues comme Catherine II par Potemkine, il savait, de science antérieure, que Bismarck n’était qu’un épouvantait fallacieusement dressé par les rois pour faire s’entre-tuer les peuples, et il ne voyait rien, il n’entendait rien, que ce qu’il s’était permis à lui-même de voir et d’entendre. Ledru-Rollin n’avait-il pas dit, en 1848 : « L’unité de l’Allemagne, c’est la démocratie de l’Allemagne, et qui dit démocratie dit sympathie acquise à la France ? » Et cet optimisme d’un grand ancêtre confirmait Garnier-Pagès dans son arrogante sérénité. Jules Simon, à son tour, bien qu’il crût, lui, à la « possibilité » d’une guerre avec l’Allemagne, comptait néanmoins sur les « tendances démocratiques qui ne manqueraient pas de se faire jour dans un parlement vraiment allemand. »

Libre à Thiers, dès lors, d’interpeller l’Empire, en mars 1867, sur la situation extérieure, et de se montrer plus agressivement inquiet que les plus militaristes d’entre les ministres du César ; Thiers avait, aux yeux de ses amis de l’opposition, une tare ineffaçable : il avait admiré Napoléon Ier. Et l’on savait de reste, depuis 1840, que, suivant un mot d’Henri Heine, il avait l’habitude de « tambouriner bruyamment » lorsqu’il s’agissait de l’Allemagne. Garnier-Pagès souriait et se rassurait : « Que ferions-nous de l’Alsace ? Que ferions-nous d’une victoire ? » lui avait dit un député prussien. Il répétait ce propos à la tribune, le 15 juillet 1867, et il ajoutait qu’il fallait « laisser faire l’unité de