Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un grand rôle. Il prit l’initiative de convoquer à Kehl, au mois de mai, deux réunions d’initiés, pour élaborer une déclaration pacifique, « répudiant énergiquement toute idée d’empiétement d’un peuple sur l’autre et toute prédication de haine et de guerre entre eux, de quelque côté qu’elle vînt. » Le 19 mai, vingt-cinq maçons français et vingt-cinq maçons allemands la signèrent : on remarquait parmi les premiers François Favre, directeur du Monde maçonnique ; le docteur Thomas, plus tard député de Reims ; Zopff, qui devint après la guerre l’un des membres importans du cercle parisien de la Ligue de l’Enseignement. Ils promirent tous de commencer dans les loges de France une propagande active en faveur de cette déclaration. Thomas tint parole ; il obséda de ses lettres les loges lyonnaises et celles de l’Est ; Favre, dans le Phare de la Loire, se fit l’apôtre de cette campagne. L’opinion fut tiède, en France, et ne tarda pas à se féliciter d’une tiédeur qui nous sauva du ridicule. C’était assez et trop, déjà, que Macé et ses amis eussent fait sur terre allemande un pèlerinage maçonnique, épargné ainsi à leurs « frères » allemands le souci des premières avances, et récolté pour tout butin des signatures badoises dont beaucoup étaient insignifiantes. Si Macé n’eût. été, dans la maçonnerie alsacienne, vénéré comme il l’était, et digne à tous égards de devenir un jour ou l’autre vénérable, on l’eût tout de suite taxé de maladresse.

Kuss, dont le nom demeure associé, dans les mémoires françaises, au nom même de Strasbourg, lui écrivait : « L’Allemagne veut relever le gant ; la guerre est inévitable ; pourquoi faire le moindre geste pour arrêter une pierre tombant d’une cathédrale ? En avant la guerre et le plus vite possible ! » Un ami de Wissembourg conjurait Macé de réfléchir que cette déclaration de Kehl, si elle faisait quelque bruit, pourrait être interprétée par les Allemands en un sens préjudiciable à la politique française. Le vénérable de la loge de Colmar lui faisait observer que « les représentans de l’opinion publique en Allemagne menaçaient formellement de conquérir les Français. » Dès lors, lui disait-il, « ce n’est pas à l’Allemagne unifiée par la liberté que vous tendez vos mains, c’est à la Prusse conquérante. Ces manifestations de paix consacrent et approuvent toutes les spoliations faites l’an dernier par la force aux dépens du droit ; et, si les Allemands y prennent part, ce n’est que les consacrer mieux encore. » Et ce correspondant, d’ailleurs, ne se faisait point d’illusions : « Mes observations,