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sur le sol sacré de la Grèce les ruines des anciens temples gisent en butte aux outrages de la nature et du temps. Bertilla : aux marges de son évangile une abbesse peint Jésus et les rois mages, et le Christ pendu au mur se penche pour mieux voir ; Le Val harmonieux : pénétré par la douceur d’une nuit sereine, émerveillé de l’éclat des astres, un berger en oublie de finir sa chanson ; Triptyque : une cathédrale, une usine, une ville épiscopale ; ces tableautins, qui sont de M. Ferdinand Hérold, en quoi serions-nous étonnés de les trouver dans le Parnasse de 1866 ? M. Francis Jammes nous conte qu’il a dans sa salle à manger une armoire, un buffet, un coucou, que ces vieux meubles ont une voix, et qu’il se plaît à causer avec eux. Il s’arrête devant un parc abandonné : des enfans y ont joué jadis et, un jour, ils ont couru au-devant d’un oncle qui revenait d’un pays lointain, rapportant ces arbres exotiques qu’on a plantés là. M. Samain, devant les terrasses de Versailles, évoque le cérémonial et les révérences d’autrefois. Rien, dans la façon dont ces sujets et d’autres sont conçus et traités, n’est caractéristique de procédés nouveaux. Le vers y est presque toujours de coupe normale. La rime en est souvent riche et ni la règle de l’e muet n’y est violée, ni celle de la consonne d’appui. Il y a dans cette anthologie beaucoup de beaux vers, qui sont beaux d’une beauté régulière et classique. Pareillement les symbolistes doivent aux maîtres d’antan quelques-uns de leurs plus authentiques défauts. Quand A. Raimbaud décrit en termes agréables le noyé qui dort entre les roseaux du fleuve, ou encore les chercheuses de poux, il imite Baudelaire, et le plus mauvais Baudelaire, celui de la Charogne. Quand il nous montre, dans la pièce fameuse du Bateau ivre, ce bateau désemparé qui flotte au fil des eaux, descend les fleuves, tantôt s’enfonce et tantôt affleure à la surface, crevé, moisi, verdi, il cède à la même fureur de description et de mauvais goût qui a caractérisé la dernière manière de Hugo. Jules Laforgue et Laurent Tailhade ont eu pour maître Théodore de Banville, de qui l’influence sur la poésie de ce temps a été aussi durable que fâcheuse. C’est ainsi qu’à chaque moment de la littérature, la part de la tradition est de beaucoup la plus considérable : les écoles nouvelles retiennent des procédés de l’école précédente plus qu’elles n’en rejettent, et empruntent plus qu’elles n’innovent.

Une autre remarque, qu’on ne peut s’empêcher de faire, porte sur l’extrême diversité de tempérament des poètes groupés ici sous une même appellation. Le souci constant des insurgés de l’art est de se recommander d’une autorité et de se trouver des ancêtres. Une école ne s’organise qu’en se donnant un chef. C’est bien pourquoi ces jeunes