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associe les idées suivant la méthode des logiciens. Elle enchaîne les développemens suivant une rhétorique qui est celle de l’éloquence. Elle est raisonneuse et oratoire. Parnassiens et romantiques tombent sous ce reproche autant que les classiques. Et par là même on a prétendu établir que nous sommes en France, moins qu’on ne l’est dans certaines nations étrangères, doués des qualités proprement poétiques. C’est contre cette longue tradition qu’il s’agit de réagir. Donc, on supprimera tout ce qui est limite trop précise et détail trop particulier. On cessera de guider le lecteur comme par la main, de le renseigner comme fait un cicérone, de lui tout expliquer au passage et de lui nommer chaque objet. « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. » On laissera les contours des objets se noyer dans la pénombre, et les idées se prolonger dans le lointain où elles meurent lentement. Car, pour donner à un objet une absolue netteté de lignes, il faut le tirer de son atmosphère véritable, et pour arrêter une idée à un point déterminé, il faut l’amputer d’une partie d’elle-même. Notre pensée réfléchie n’est-elle pas de toutes parts enveloppée parle vaste domaine de l’inconscient ? C’est un fait, qu’il reste dans toutes les grandes créations de l’art une part de vague. « Il est rare, nous dit-on avec justesse, que les livres aveuglément clairs vaillent la peine d’être relus. La littérature qui plaît aussitôt à l’universalité des hommes est nécessairement nulle. » Qu’est-ce qu’une poésie sans mystère, et qui, tout de suite accessible, n’exige pas quelque initiation ? Le symbolisme nous rapporte le « sens du mystère. » Et tous ces traits accusent l’analogie de la poésie avec la musique. Incapable de montrer un objet, de raconter un drame ou d’exprimer une idée, la musique ne nous donne que des indications très générales. Elle crée en nous des états de sensibilité ; et chacun de nous, au gré de sa fantaisie, évoque des images qui varient d’un individu à l’autre, d’un jour à l’autre, et qui remontent du fond de nos souvenirs ou du fond de notre nature.

Appliquez ces principes aux thèmes ordinaires de la poésie. Car, après tout, ces thèmes ne sauraient manquer de rester toujours les mêmes, et il faut bien faire des vers avec quelque chose. On fera encore des «paysages: » mais la ville, le jardin y seront telle ville et tel jardin qu’il vous plaira. Ainsi dans les vers que M. Charles Guérin intitule Soir léger :


Le soir léger, avec sa brume claire et bleue,
Meurt comme un mot d’amour aux lèvres de l’été.