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Société secrète ennemie de la dynastie et dont le chef prétend à la couronne ; le mouvement s’étendant et passant du Chan-Toung aux autres provinces, le gouvernement chinois se trouve avoir follement mobilisé toutes les sociétés secrètes de l’Empire ; et la masse du peuple est ainsi entraînée dans le tourbillon.

L’agitation présente apparaît donc comme le fait des sociétés secrètes en général. Elle porte, dans le langage courant, le nom d’insurrection des Boxeurs, mais il n’y a aucun motif pour imaginer une société secrète des Boxeurs. Au lieu de rechercher les statuts, sans doute difficiles à découvrir, et le chef, parfaitement inconnu, de cette association problématique, il sera plus utile de dégager l’esprit général des sociétés secrètes en Chine.


ii

Il se définit en deux mots : il est dirigé contre l’étranger de l’Occident ; il l’est aussi contre un étranger plus proche, le conquérant Mandchou, qui est venu imposer sa domination et sa dynastie aux Vieux Chinois.

Toute secte chinoise, a, comme fondateur, un illuminé, un prophète, errant de village en village, dégagé de tous les liens terrestres, armé de redoutables pouvoirs magiques et de la faculté d’évoquer les esprits. Ces « Mahdis » de l’Extrême-Orient emploient, pour fasciner et terroriser les populations, les procédés les plus bizarres. Nous pouvons rappeler à ce sujet la « panique des queues, » en 1875, à Nankin. Les grands maîtres du « Nénuphar blanc » couvrirent le pays de bonshommes en papier rouge, tenant des ciseaux de la main droite et, de la main gauche, une épée, silhouettes représentant, paraît-il, des esprits éminemment redoutables. En même temps, ils se mirent à couper mystérieusement les nattes des pauvres passans. Tandis que l’un d’eux arrêtait un flâneur pour lui vendre un talisman et occupait son attention par ses discours, un autre, par derrière, avec des ciseaux affilés et cachés dans la paume de sa main, tranchait la natte, puis disparaissait. Tout à coup le mutilé s’apercevait, avec horreur, de la diminution subie. Il se croyait victime du démon. Il se voyait condamné à une mort prochaine. Il s’affolait, délirait. Le pays entier fut frappé d’une sorte d’épidémie mentale. Les « oppressions » et les cauchemars s’abattirent sur les habitans du Nankin. Dès qu’un Chinois se sentait oppressé, il jetait le désordre dans son quartier ou son village : sa famille battait le tam-tam pour écarter les mauvais esprits ;