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liques ou protestans et les massacres d’Occidentaux si fréquents dans notre siècle. Il y a même des associations spécialement fondées contre les étrangers. Telle est le Ko-Lao-Houy, ou secte des « Vieux frères. » Son objet avoué est une assistance mutuelle, mais c’est en réalité une ligue des hommes de la Chine centrale contre les intrus. Leur mot d’ordre est : « La Chine aux Chinois. » Ils représentent la pure race de Han et regardent les habitans des provinces éloignées avec autant de dédain, ou peu s’en faut, que les Barbares eux-mêmes. Il n’était donc pas besoin qu’il se formât contre l’étranger une secte des « Boxeurs. » Toutes les sectes existantes étaient déjà ennemies de l’étranger.

Mais cette haine de l’étranger s’étend à la dynastie régnante qui, elle aussi, est étrangère. On sait que, depuis environ six cents ans, les conquérans mandchous se sont emparés du trône de Chine. Les Chinois se souviennent avec douleur de ce temps où ils furent conquis par le guerrier mongol Koublaï. Il est dur pour eux de se voir exclus, depuis six siècles, de toutes les fonctions de Cour, depuis le poste suprême jusqu’au plus humble, jusqu’à celui de dernier interprète, bien qu’ils se sentent plus intelligens et plus fins que les Tartares mandchous.

C’est pourquoi les sociétés secrètes chinoises furent toujours des instrumens de révolte. Il n’est pas besoin de remonter jusqu’aux rebelles aux « Sourcils peints de vermillon » (Shih-Meï) qui disputèrent l’empire au deuxième fondateur de la dynastie de Han, au commencement de l’ère chrétienne, ni jusqu’aux rebelles du « Turban jaune, » qui renversèrent la même dynastie, deux cents ans plus tard. Cela risquerait de nous entraîner un peu loin. Il suffit de rappeler qu’après la conquête mandchoue, cette politique insurrectionnelle des sociétés secrètes s’accentua encore. La célèbre société du Peï-hen ou Nénuphar blanc fut fondée au lendemain de l’arrivée des Mongols, pour lutter contre eux. Elle combattit, pendant des siècles, les empereurs, qui répondirent à ses attaques par des édits de proscription. Elle trouva une émule dans la « Société du Ciel, de la Terre et de l’Homme » ou « Société de notre Véritable Ancêtre, » qui est le ciel (Tien-ti ou Sang-ho-Houy), ou enfin « Société de la Triade, » qui est son nom le plus commun. La devise de la Triade fut : « Renverser les Tsings (c’est-à-dire l’usurpateur mandchou), et restaurer les Mings (c’est-à-dire la vieille dynastie chinoise). Cette révolution ramènerait ce que les Vieux Chinois appellent « le règne de la lumière. » C’est pour l’accomplir que le Nénuphar blanc fomenta l’insurrection des « Plumes Blanches » contre l’empereur Kia-King, en 1814.