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car la Chine est en ce moment à l’état d’hostilité contre la Russie, état de fait, sinon de droit, et elle ne pourrait pas lui dire, comme à nous, que toutes les questions pendantes entre les deux pays ont été résolues à l’amiable. C’est même là une complication très propre à aggraver toutes les autres, si le gouvernement chinois n’y met pas bon ordre. Il s’est contenté jusqu’ici de lever les bras au ciel et de protester de son innocence : cette innocence est beaucoup trop suspecte pour qu’on y croie, et d’ailleurs un gouvernement n’est pas seulement responsable de ce qu’il fait lui-même, mais encore de ce qu’il laisse faire par ses ressortissans. Des bandes chinoises parfaitement organisées et bien armées ont attaqué le territoire russe sur la frontière de Sibérie et de Mandchourie, bombardé des villes, détruit des gares de chemin de fer ; il va sans dire que le chemin de fer lui-même a été sérieusement endommagé sur plusieurs points et qu’il reste menacé sur tous les autres. Ce sont là des faits intolérables. Le gouvernement chinois a beau faire dire à Saint-Pétersbourg qu’il n’y est pour rien, qu’il les désavoue, qu’il les déplore : ces déclarations platoniques ne sauraient suffire, et il n’est pas probable que la Russie s’en contente. La vérité est tout autre, et il y a plus d’analogie qu’on ne veut le reconnaître à Pékin entre ce qui s’est produit à Takou et à Tientsin et ce qui vient de se passer sur la frontière russe. A Takou et surtout à Tientsin, il y avait sans doute des Boxeurs pour servir de paravent ; mais ce sont les réguliers chinois qui ont attaqué les troupes alliées, et le gouvernement chinois se serait incontestablement arrogé les bénéfices et même le mérite de la victoire, s’il y avait eu victoire. Dans sa lettre à l’empereur allemand, l’empereur de Chine s’exprime ainsi : « Toutes les puissances étrangères furent prises du soupçon que le gouvernement impérial chinois était de connivence avec les populations pour persécuter les chrétiens. La conséquence de ce soupçon fut d’abord la prise du fort de Takou ; les hostilités commencèrent ; la situation devint de plus en plus embrouillée. » Cette manière d’écrire l’histoire, bien qu’elle vienne d’une plume, ou, dans le cas dont il s’agit, d’un pinceau impérial, manque d’exactitude. Sans doute les puissances ont eu, dès le premier moment, des soupçons très graves contre le gouvernement chinois, et celui-ci n’a encore rien fait d’efficace pour les dissiper ; mais ce n’est pas à cause de ces soupçons que Takou a été pris, c’est parce que les forts de la place avaient tiré les premiers contre les escadres étrangères. De même, à Tientsin, ce sont les réguliers chinois, maîtres de la ville indigène, qui ont ouvert le bombardement contre la ville européenne et contre les troupes qui l’occupaient : de là est venue la riposte qui a fait tomber la ville indigène