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raccommodés en apparence. Au Palais-Royal, où Mademoiselle se rendit ensuite, l’accueil d’Anne d’Autriche fut de glace. Sa nièce le soutint avec fierté, sentant sur elle les regards de toute la cour, mais elle ne pardonna jamais à la reine, et fut plus résolue que jamais à se chercher elle-même un mari. Parmi les fautes de Mazarin qui ont contribué à la Fronde, la moindre n’a pas été son obstination à ne pas marier la Grande Mademoiselle. Les inconvéniens de la chose, on peut même dire les dangers, étaient réels et sérieux ; un ministre n’avait pas le droit de les négliger. Ils pouvaient toutefois se tourner, ou s’atténuer, tandis qu’il sautait aux yeux que rien n’adoucirait pour cette princesse orgueilleuse l’humiliation de rester sans « établissement, » et qu’elle ne serait pas un adversaire méprisable : elle s’en flattait, et avec raison. « Je suis, écrivait-elle, fort méchante ennemie, étant fort colère et fort emportée, et cela, joint à ce que je suis née, peut bien faire trembler mes ennemis. »


III

Deux ans[1] avant la scène tragi-comique du Palais-Royal, l’empereur Ferdinand III avait failli être la cause non moins innocente d’une vraie catastrophe pour la princesse qui aspirait avec tant de passion à partager son trône. Cette turbulente personne, aussi libre d’esprit qu’indépendante de caractère et n’ayant guère qu’une religion de bienséance, fut amenée par l’ambition à un parti en contradiction singulière avec ses démarches et toutes ses inclinations. S’étant mise par politique à faire les gestes et à prendre les attitudes de la dévotion, elle tomba dans son propre piège, et se trompa elle-même au point de vouloir entrer au couvent. Il n’est pas d’exemple plus curieux de la puissance de l’auto-suggestion.

C’était avant le départ de Saujon pour l’Allemagne. — « Le désir d’être Impératrice, dit Mademoiselle, qui me suivait partout, et dont l’effet me paraissait toujours proche, me faisait penser qu’il était bon que je prisse par avance les habitudes qui pouvaient être conformes à l’humeur de l’Empereur. J’avais ouï dire qu’il était dévot, et, à son exemple, je la devins si bien, après en avoir feint l’apparence quelque temps, que j’eus pendant huit jours le

  1. Un an, d’après les Mémoires de Mlle de Montpensier, mais elle s’est trompée de date, chose qui lui arrive souvent.