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premiers missionnaires des Gaules était à recommencer dans la moitié des campagnes de France.

La situation était à peine meilleure pour le catholicisme dans le monde de l’aristocratie. Lorsque saint Vincent de Paul, par une malchance qui ne devait pas rester unique dans sa carrière, fut nommé (1610) aumônier de la reine Marguerite, première femme de Henri IV, il fut bouleversé de ce qu’il entendait tout autant que de ce qu’il voyait : il était tombé dans une cour aux trois quarts païenne[1]. Le libertinage d’esprit passait alors pour une élégance, et la mode s’en prolongea très avant dans le XVIIe siècle. La jeunesse dorée se plaisait à répéter d’après Vanini que l’homme doit obéir à la « loi naturelle ; » que le vice et la vertu sont des produits du climat, du tempérament et de l’alimentation ; que « les enfans qui naissent avec l’esprit faible sont par-là d’autant plus propres à faire de bons chrétiens. « La piété n’était pas tout à fait morte dans les hautes classes ; on le vit bien lors de la renaissance triomphale qui, de cette religion expirante, fit le catholicisme des Bossuet et des Bourdaloue ; mais la piété ne s’avouait pas entre gens du bel air : — « Dans un certain monde élégant, frivole et corrompu, l’impiété et le bel esprit marchaient de pair. On n’était pas complètement un homme à la mode, si L’on n’assaisonnait ses discours d’un grain d’athéisme[2]. » Sous Louis XIII, dont la bigoterie veillait de près chez les autres sur l’appareil extérieur de la dévotion, le ton changea dans l’entourage immédiat de la royauté ; chacun rentra son incrédulité et se remit à pratiquer dévotement ; mais il fallut longtemps pour que les cœurs se rendissent. On a remarqué[3] que Richelieu avait parmi ses familiers plusieurs libertins avérés et affichés, et qu’il ne s’en scandalisait point, à condition qu’ils lui fussent dévoués et qu’ils eussent de l’esprit. Longtemps après Richelieu, en plein règne de Louis XIV, le grand Condé et la princesse Anne de Gonzague, promis tous deux aux « merveilleuses victoires de la grâce[4], » mais des plus mécréans de la cour en attendant « le miracle, » s’amusèrent à jeter au feu un morceau de la vraie croix pour voir s’il brûlerait. Le courant libertin, quoique très alangui après la Fronde, ne se terra

  1. Cf. Saint Vincent de Paul et les Gondi, par Chantelauze.
  2. M. l’abbé Houssaye, le Cardinal de Berulle et Richelieu.
  3. F.-T. Perrens, les Libertins en France au XVIIe siècle.
  4. Bossuet, Oraison funèbre d’Anne de Gonzague.