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son cœur, la « transformation intime et profonde de sa personnalité. » Chacun sait avec quelle ardeur, quelle tendresse, il marcha vers son but, combien fut profonde la révolution qu’il opéra dans les âmes, petit à petit, par sa parole et, surtout, par ses écrits. Peu de livres ont eu autant d’éditions que l’Introduction à la vie dévote[1].

Il avait fréquenté à Paris un jeune prêtre nommé Pierre de Bérulle, ambitieux à sa façon, qui était tourmenté, lui aussi, de l’état misérable du catholicisme. Après avoir beaucoup songé aux remèdes, en avoir causé avec Vincent de Paul, Bourdoise, François de Sales et d’autres pieux amis, M. de Bérulle avait résolu de se donner à la tâche colossale de la réforme du clergé. En 1611, il fonda à Paris la maison de l’Oratoire, dont l’objet était de mettre fin « à l’inutilité de tant d’ecclésiastiques[2]. » Les débuts furent modestes, le développement rapide. Moins de quinze ans après sa première messe, l’Oratoire comptait en France près de cinquante maisons, d’où essaimaient sans interruption, pour remplir les fonctions les plus diverses, des prêtres que ne liait « aucun vœu solennel de religion. » Ils se répandaient en missionnaires à travers la France, prêchant et confessant, catéchisant les enfans et instruisant les parens, rapprenant, en un mot, le christianisme aux populations qui l’avaient oublié. Ils se mélangeaient au reste du clergé en acceptant des cures ou des aumôneries, et agissaient sur lui par l’exemple d’une dignité de vie et d’un respect du sacerdoce qui relevaient les autres prêtres à leurs propres yeux. On appelait de partout les disciples de M. de Bérulle à diriger des séminaires. De nombreux ecclésiastiques venaient dans ses maisons se pénétrer de son esprit, qu’ils allaient ensuite répandre dans leurs paroisses ou communiquer à leurs élèves. Quelques Oratoriens trouvaient même qu’on partait trop de chez eux. M. de Bérulle répondit à leurs plaintes : — « Et moi, j’en suis bien aise, la congrégation n’étant établie que pour fournir de dignes ministres et de bons ouvriers à l’Église. » Il savait qu’il aurait beau donner jusqu’au dernier de ses élèves, ce ne serait pas encore assez pour régénérer ce grand corps du clergé français,

  1. Cf. le Manuel de l’Histoire de la littérature française, par M. F. Brunetière. La première édition de l’Introduction est de 1608, le Traité de l’amour de Dieu, de 1612.
  2. Le mot a été repris par Bossuet. Il dit dans un de ses sermons, en parlant des pasteurs indignes : « Leur inutilité, leur ignorance nous les a fait mépriser. »