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siècles. » Un si rare génie, tourné vers l’intrigue dès la tendre jeunesse, avait rendu celle qui le possédait l’une des plus dangereuses personnes du royaume. Mme de Chevreuse, amie intime d’Anne d’Autriche, avait été pour son coup d’essai la cheville ouvrière de la conspiration Chalais. Il lui en revint la gloire d’être à vingt-cinq ans une exilée politique, et de s’en venger comme l’aurait pu faire un vieil homme d’État. Elle forma par sa seule industrie une ligue contre la France et parut aux alliés une si grande figure, que l’Angleterre, battue et cherchant la paix, mettait parmi ses conditions le rappel d’une femme à qui son roi « portait une particulière affection. » Richelieu céda et se souvint de ne plus exiler Mme de Chevreuse. Lors de l’intrigue espagnole qui aboutit à l’affaire du Val-de-Grâce, il tâcha de la garder, de peur d’une nouvelle ligue. Elle lui coula entre les doigts. Cela se passait en 1637.

La duchesse de Chevreuse s’enfuit à travers toute la France, à cheval et déguisée en homme. Elle ne s’était jamais tant amusée, et ce n’était pourtant pas ce qui lui avait manqué dans la vie. Son mari et Richelieu faisaient courir après elle pour la supplier de ne pas s’en aller. Il fallait se cacher, ruser, et les aventures foisonnaient. Une dame qui l’avait logée en passant s’éprit de ce beau garçon et lui fit une déclaration. Ses guides l’initiaient à la tenue et aux propos des hommes, quand ils se croient entre hommes et dispensés de se gêner. Elle couchait un jour sur le foin, le lendemain dans l’un de ces vastes lits de nos pères où il était d’usage de mettre plusieurs personnes, qu’elles se connussent ou non. Elle gagna ainsi les Pyrénées, Madrid où elle tourna la tête au roi d’Espagne, Londres où on la fêta, et devint le chef officiel des ennemis de Richelieu. Louis XIII expirant lui fit l’excès d’honneur d’interdire solennellement[1] sa rentrée en France. Elle accourut d’autant plus vite à Paris, persuadée qu’elle allait régner sous le nom d’Anne d’Autriche. Le 14 juin 1643, Mme de Chevreuse revoyait la reine après dix ans de séparation, et trouvait la place prise par Mazarin : il y avait un mois, jour pour jour, que le roi était mort. Elle se mit aussitôt en devoir de déloger le cardinal ; mais cela n’était point si facile.

La princesse Palatine, — avant son mariage, Anne de Gonzague[2], — était belle à ravir et douée aussi du génie des grandes

  1. Dans la Déclaration pour la régence (21 avril 1643).
  2. Née en 1616.