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qu’ils ne pouvaient être rompus, ni par le temps ni par quelque effort qu’on y fît. » Quelques lignes plus bas, il réclame sa pitié, — Mazarin était alors en exil, — pour « cet enfant, » c’est-à-dire lui-même : — « Il le faut compatir, car c’est une étrange chose pour cet enfant de se voir marié et séparé en même temps, et qu’on poursuit toujours pour apporter des obstacles à son mariage (27 octobre 1651). » Ce texte, déjà si obscur, peut être pris dans un sens figuré. Il a donc besoin d’être appuyé de preuves morales, tirées des façons d’être de la reine avec Mazarin, et des changemens que l’âge ou les circonstances apportèrent à leurs relations. Nous noterons ces fluctuations en temps et lieu. Pour l’instant, nous en sommes à la lune de miel, légitime ou non ; on en place le début à la fin du mois d’août 1643, ou dans les six semaines qui suivirent[1].

Le public observait avec irritation le roman royal. Après avoir accueilli d’assez bonne grâce le ministère Mazarin, la population s’unissait dans un sentiment de mépris et de haine pour le bel Italien qui savait arriver par les femmes. Les amis de la reine redoublaient leurs avertissemens, et n’y gagnaient que d’être disgraciés. L’un de ses plus anciens serviteurs, La Porte, qui avait fait ses preuves de dévouement, osa lui dire en face « que tout le monde parlait d’elle et de Son Éminence d’une manière qui la devait faire songer à elle… Elle me demanda qui m’avait dit cela. Je lui dis : « Tout le monde, » et que cela était si commun qu’on ne parlait d’autre chose. Elle devint rouge et se mit en colère…[2]. » Mme de Brienne, femme du secrétaire d’Etat, ayant eu la même hardiesse, raconta aux siens « que plus d’une fois Sa Majesté rougit jusque dans le blanc des yeux[3]. » Anne d’Autriche trouvait des lettres anonymes dans son lit. Elle entendait fredonner par les rues de Paris des chansons qu’il ne tenait qu’à elle de comprendre. Enfin, un jour qu’elle écoutait un service à Notre-Dame, elle eut la surprise d’être entourée par une bande de femmes du peuple qui se jetèrent à ses pieds en lui criant « qu’elle dissipait le bien de son pupille ; qu’elle avait un homme chez elle qui prenait tout[4]. »

C’était en effet le grand grief, beaucoup plus sensible, il faut

  1. Voyez les Problèmes historiques, de Jules Loiseleur.
  2. Mémoires de La Porte.
  3. Mémoires de Brienne le jeune.
  4. Journal d’Olivier d’Ormesson. Cette scène eut lieu le 19 mars 1645.