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Nos manœuvres étaient trop maltraitées pour que nous puissions gagner l’Anson de vitesse. A la nuit, l’Anglais s’est trouvé si désemparé à son tour, qu’il a mis ses voiles sur le mât et s’est laissé culer. Le combat a fini avec le jour ; nous avons suivi l’Immortalité toute la nuit. Une circonstance prouvera, entre mille, le sang-froid des soldats républicains. Il fallait pomper continuellement, et quarante hommes étaient groupés autour du grand mât. Eh bien ! les pompes ont joué sans interruption au plus fort du combat, et le grand mât a reçu plusieurs boulets rames à quelques pieds au-dessus des pompes. Sur le gaillard d’arrière, un boulet a emporté le sac d’un soldat qui était au bastingage et a renversé le chef de brigade, Lée.

Le 22 vendémiaire au matin, nous étions dans la baie de Donegal, près de l’Immortalité, qui a signalé de se préparer à descendre. Le chef de brigade Lée a siégé au conseil de guerre présidé par le général Ménage. Ce conseil a jugé que la descente était impossible. Sur l’observation que les troupes et l’équipage de la Résolue étaient forcés de prendre terre pour échapper à une perte certaine si la frégate continuait à tenir la mer, le capitaine de vaisseau Legrand, commandant l’Immortaiité, a promis qu’il ne nous abandonnerait pas et que nous pouvions compter sur lui, si nous allégions la Résolue en jetant à la mer les fardeaux trop pesans et même les canons. On convint donc de partir à un signal déterminé.

Il est venu des Irlandais abord nous apprendre que le général Humbert avait été vaincu et fait prisonnier.

A huit heures du soir, on a appareillé. A peine hors de la baie de Donegal, on a aperçu un feu, qu’on a pris pour celui de l’Immortalité ; ce qui nous a engagés à montrer un feu, de temps à autre.

Le vent s’est levé ; la mer est devenue très grosse. Le péril augmentant, on a décidé de jeter les canons à la mer ; mais, auparavant, Bargeau a essayé, en les mettant à la serre, de soulager sa frégate.

A minuit, nous avons eu connaissance d’un bâtiment sous le vont. Le capitaine a cru que l’Immortalité nous ralliait et a fait diminuer de voiles. A une heure, ce bâtiment nous a rangés sous le vent, à portée de la voix. Le capitaine l’a hélé, le prenant toujours pour l’Immortalité ; mais une volée l’a bientôt tiré d’erreur. Cette bordée a été suivie de beaucoup d’autres, qui ont tué plusieurs