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Le lendemain, je passai à bord de la frégate l’Uranie, ayant l’ordre de chercher un point de débarquement assez éloigné de la ville. Leclerc vint à mon bord avec le général Desfourneaux. Toutes les frégates de l’armée se rallièrent à l’Uranie.

Après avoir longtemps louvoyé, nous descendîmes dans l’anse à Margot. Je commandais l’avant-garde ; le débarquement s’est bien fait.

Trois de nos chaloupes ont échoué sur des bancs de sable, près du rivage. Les soldats sont entrés dans l’eau jusqu’aux aisselles et les nègres effrayés ont pris la fuite vers la montagne. Nous les avons poursuivis et battus. J’ai pris six canons.

Voilà le bulletin de ma première opération. Le lendemain, à cinq heures du matin, je me suis mis en marche, à travers les mornes, pour me rendre au Cap.

J’avais neuf grandes lieues à faire, avec des soldats qui n’avaient rien à boire ni à manger. Je me suis mis à pied à leur tête ; j’ai causé avec eux pendant toute la route, les encourageant à bien faire et les maintenant dans le plus grand ordre. Il le fallait, parce qu’à chaque pas nous étions entourés par des nègres armés, qui nous eussent fait le plus grand mal, si on les avait provoqués. Je parlai à ces malheureux, je les engageai à retourner chez eux, à y travailler paisiblement. Je parvins à me débarrasser, sans brûler une amorce, de 3 000 Philistins, qui auraient pu m’égorger, avec mes troupes, dans la montagne, sans que j’aie eu le temps ni le moyen d’en sortir.

La plaine commence à deux lieues du Cap. J’y entrai à la nuit et, de suite, je fus attaqué par quelques centaines de nègres, de mulâtres et de blancs mêlés ensemble, commandés par Toussaint-Louverture en personne. Une demi-heure m’a suffi pour les culbuter et les mettre en fuite.

Je continuai ma marche à la lueur des incendies ; les habitations de la plaine et la ville du Cap flambaient. Vision horrible ! Je frémis encore en l’évoquant. Enfin, j’arrivai dans cette cité malheureuse, à travers les cris, les hurlemens, le feu et la fumée. La ville brûlait depuis trois jours ; il ne reste pas une maison intacte. A peine avons-nous trouvé, Leclerc et moi, un coin pour nous abriter. Nous y resterons cependant, et, par la douceur, l’humanité, la persuasion, nous réussirons à sécher les larmes, à consoler les infortunées victimes du désastre.

Toussaint et son lieutenant Christophe se sont réfugiés dans