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LA RÉFORME DE LA SYNTAXE.

soit-elle, ne l’a pas affecté dans sa forme ou dans son apparence normale. Qu’y a-t-il là de si « puéril, » ou de si « subtil, » ou de si « compliqué ? » La nuance n’est-elle pas de celles qui méritent d’être notées ? L’élève qui l’aura saisie n’aura-t-il fait aucun progrès dans l’art d’analyser ses idées ? dans la connaissance même des choses ? Et nous, allons-nous défaire la langue pour la mieux enseigner ? Ou suffira-t-il désormais qu’une complication nous ait, au temps de notre enfance, embarrassés, ou embarrassé, pour que nous nous en vengions, dans notre âge mûr, en la faisant disparaître ? Et si les candidats aux fonctions de facteur rural ou d’agent voyer s’en trouvent gênés à leur tour, que veut-on que nous y fassions ? Ils en seront quittes pour vendre de la futaine ou du chocolat.

Eh oui ! je le sais bien, il est fâcheux qu’une destinée humaine, — je prends, pour un instant, les choses au tragique, — dépende quelquefois d’une faute ou d’une inadvertance d’orthographe ; il est fâcheux qu’un jeune homme ou une jeune fille se voient écartés de la carrière de leur choix pour avoir oublié qu’on n’écrivait pas des chef-d’œuvres, mais des chefs-d’œuvre, des chou-fleurs, mais des choux-fleurs, et qu’au pluriel choux et genoux prenaient un x au lieu d’un s ; et il est encore plus fâcheux qu’entre plusieurs candidats qui se disputent une même place, on n’ait pas trouvé jusqu’ici d’autre ni de meilleur moyen de faire un choix que le concours. Mais, en ce cas, — je veux dire si les « puérilités » de l’orthographe ou de la syntaxe ont si peu d’importance, — nous n’avons donc qu’à supprimer dans les concours l’épreuve de la « dictée » d’orthographe ou de l’ « exercice » de grammaire ! Si peut-être les juges de ces concours ne sont pas tous ni toujours les « personnes intelligentes » qu’on suppose au Conseil supérieur de l’Instruction publique, nous n’avons qu’à les changer. Ou encore, et si décidément on pense qu’il soit moins utile à un jeune Français de connaître sa langue maternelle que de savoir par quel degré de latitude se trouvent Lisbonne ou Tromsoë, contentons-nous alors de le faire composer « en géographie ! » Car, je me borne à en faire ici brièvement la remarque : on ne voit guère de moyen, dans une démocratie comme la nôtre, de renoncer au système des concours. Nous en connaissons tous les funestes inconvéniens, et même, il y a lieu de craindre que, comme en Chine, notre mandarinat ne finisse par en mourir. Seulement, on ne voit