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pas, je le répète, ou, du moins, je ne vois pas de moyen d’y porter remède. Il y a des maladies dont il faut que l’on meure, et la défiance démocratique en est une ! Si l’on supprimait les concours, on ne la guérirait point, on ne la soulagerait pas : on l’exaspérerait ! Mais, pour diminuer dans les concours la part de la fortune, bouleverser l’orthographe et la syntaxe de la langue ; faire ainsi des examens de carrière, et notamment des plus humbles de tous, de ceux qui ne donnent accès qu’aux plus modestes emplois de l’administration ou de la bureaucratie, les régulateurs de la « parlure française ; » subordonner la mentalité d’un grand peuple aux exigences de l’école primaire, s’il serait assurément difficile de rien imaginer de plus barbare, c’est ce que le Conseil supérieur de l’Instruction publique, mal inspiré, et le ministre, mal conseillé, sont en train de faire, ont commencé de faire ; — et c’est ce que nous ne pouvons trop ni même assez déplorer.

Ce qu’il y a d’ailleurs de plus surprenant, c’est qu’ils semblent avoir eux-mêmes reculé devant leur besogne : « La Commission a jugé qu’elle ne devait rien autoriser qui put porter atteinte à la bonne tradition de la langue… La Commission s’est contentée d’indiquer jusqu’où peut et doit aller dans les examens la tolérance en matière de syntaxe française… Convaincue de n’avoir rien admis qui puisse porter atteinte à la langue française, la Commission… » Ainsi s’exprime le Rapport, et ce sont là de ces choses que l’on se hâte de se dire à soi-même, quand on craint que les autres en conviennent moins aisément. Non pas, peut-être, qu’en réalité, je le veux bien, si l’on examine les « tolérances » proposées par la Commission, adoptées par le Conseil, et consacrées par le ministre, il n’y en ait d’insignifiantes, et, par exemple, je ne vois pas grand mal à ce que l’on écrive des choufleurs ou des tedeums ; je n’y vois qu’un peu de ridicule ; mais d’autres propositions sont plus inquiétantes, et ce sont celles qui ont pour objet de réagir contre le travail d’analyse qu’écrivains, grammairiens et critiques ont opéré depuis trois ou quatre cents ans sur les élémens de la langue.

J’en ai déjà donné plus haut un exemple caractéristique : en voici un second : « On permettra, disait le Rapport, d’écrire indifféremment : Elle a l’air doux ou douce, spirituel ou spirituelle. On n’exigera pas la connaissance d’une différence de sens subtile suivant l’accord de l’adjectif avec le mot air, ou avec le mot dési-