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LA RÉFORME DE LA SYNTAXE.

gnant la personne dont on indique l’air. » Il ne s’agit pas de savoir si la différence est « subtile, » mais uniquement si elle est fondée ; et qui niera qu’elle le soit, si nous n’avons sans doute pas toujours la réalité de notre air ? Considérant donc à ce sujet que le génie de la langue admettait indifféremment l’une et l’autre expression : Elle a l’air doux, et : Elle a l’air douce, les grammairiens ont essayé, pour prévenir toute confusion, d’établir entre elles une légère différence de sens, et dans l’espèce ils y ont réussi. Quel avantage voit-on à détruire aujourd’hui leur ouvrage ? pourquoi ? dans l’intérêt de qui ? et comme si, de toutes les qualités d’une langue, et d’une langue dont on se plaît à louer singulièrement la clarté, la première n’était pas d’avoir pour chaque nuance de l’idée ou du sentiment une expression qui la traduise ; qui ne traduise qu’elle ; et qui cesse de la traduire, dès qu’on y change, ne fût-ce qu’une syllabe et, voire, comme dans le cas présent, qu’une lettre ?

II

Ces observations paraîtront-elles peut-être elles-mêmes un peu compliquées et subtiles ? À ce que j’ai déjà dit de cet argument je pourrais ajouter que des observations de ce genre forment toute une part de ce que M. Michel Bréal a nommé du nom de Sémantique : c’est la science des significations successives, diverses, et parfois contradictoires qu’une même locution, une même « tournure, » un même mot ont revêtues, ou revêtu, au cours de l’histoire d’une langue. Mais il y a autre chose à dire. Pour compliquées ou subtiles qu’on les trouve, ces observations nous conduisent à des observations plus importantes. Elles y conduisent comme nécessairement. Et tout d’abord elles peuvent servir à dissiper l’équivoque dont il semble que se payent jusqu’ici les adversaires ou les partisans de la simplification de la syntaxe et de la réforme de l’orthographe. Ne raisonnent-ils pas, en effet, ou n’ont-ils pas l’air de raisonner, les uns et les autres, comme si, depuis trois ou quatre cents ans, ni l’orthographe ni la syntaxe française n’avaient varié d’un usage ou d’une règle ? Au nom de l’étymologie, de la phonétique, et de la logique, — de leur logique à eux, — ne dirait-on pas que les « réformateurs » ont entrepris d’abolir une superstition plusieurs fois séculaire, promulguée sans droit par « les pédans du xvie siècle, »