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bien ! on a beau y être habitué, à ces exercices, et savoir au juste ce qu’en vaut l’aune, c’est toujours impressionnant, — au moins quand ils sont bien faits. C’est aussi l’avis des milliers d’Oranais qui s’entassent, se bousculent avec des cris d’enthousiasme sur les pentes de la Casbah, sur les toits des maisons, sur le port, la jetée...

La canonnade mollit peu à peu, cependant ; l’escadre s’éloigne dans le Nord-Ouest, satisfaite d’avoir écrasé la défense. Celle-ci ne l’est pas moins d’avoir coulé l’escadre. Tout le monde est content, même les bons zouaves qui, bien alignés, ont fait des feux de salve sur les bateaux à 4 000 mètres... Quels hommes ! Quels fusils ! ...


Là-dessus, pour nous, gardes-côtes, réappareillage et remouillage à Mers-el-Kebir ; mais, cette fois, loin de terre, loin des points facilement accostables. Les grands cuirassés, les bâtimens-amiraux se les réservent. Et vite, vite, il faut refaire encore du charbon, de l’eau douce, s’occuper des vivres, des provisions de toute sorte pour la grande traversée. Demain nous embarquerons bœufs et moutons pour les rationnaires, poulets, canards, lapins, petits « gorets » pour les tables ; et du foin, du son, d’énormes sacs de légumes... l’arche de Noé !


27 juin.-2 heures.

Le grand départ. Le temps est orageux, d’une chaleur piquante ; la houle du large nous secoue sans merci. On est inquiet, agité, nerveux, et il y paraît. Les signaux se succèdent, rapides ; les timoniers sont sur les dents... Affolés, ils se trompent dans leur télégraphe à bras et il faut tout recommencer. Quelle patience ! ... On échange des communications aigres-douces : les bateaux se plaignent, les « majorités » gourmandent...

« Votre patente de santé est-elle visée ?... — Combien prenez-vous de charbon ? — Combien reste-t-il de tonnes d’eau dans la citerne ? — Nous n’avons encore ni bœufs, ni moutons...

« Envoyez les vaguemestres à bord de l’amiral.., — Vos permissionnaires sont-ils tous rentrés ? ... Et vos cuisiniers ? ... etc., etc., etc. »

Les chalands à bœufs, les chalands à fourrages, les citernes, les charbonnières, tout se heurte et se mêle ; les canots à vapeur courent éperdus, les baleinières se hâtent, leurs nageurs courbés