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ah ! la belle bousculade !... Et les appels ! « Jean-Marie ! Jean-François ! Yves ! » Et les embrassades, les larmes dans les yeux !...

Mon Dieu ! Ils ne revenaient pas du bout du monde, c’est certain. Mais quoi ! Toulon est si loin, par chemin de fer, et c’est si cher ! On ne peut pas venir, et alors, c’est comme s’il était en Chine, le pauvre Jean-Marie !


11 juillet, 12 juillet. — Brest ; départ pour Cherbourg.

Les nouvelles sont intéressantes ici. D’abord il n’y aura pas le moindre monarque, pas le plus petit prince à la revue de Cherbourg, pas même un navire étranger. Ce n’est pas ce qu’on nous avait dit à Toulon. Nous n’en sommes pas autrement surpris et, tout amour-propre national mis à part, nous en serons vite consolés. La « fantasia » sera déjà assez fatigante !

En Chine, cela va mal, très mal. Nous armons des croiseurs ; on bat le rappel des officiers, et déjà les listes d’embarquement sont vides. La marine française a ceci de particulier qu’elle n’arrive jamais à compléter ses états-majors de bâtimens dès qu’on sort un peu du petit train-train courant. Quelques-uns avancent qu’il serait bon d’avoir plus d’officiers, d’autant mieux que l’on construit beaucoup et que la flotte augmente. Mais c’est là une opinion qui n’est point orthodoxe et qui sent le fagot.

Il vaut mieux avoir peu d’officiers, pour qu’ils soient meilleurs. Quand la guerre vient, on complète avec n’importe qui. C’est comme ça que l’on a fait toujours, et voilà qui est décisif. Seulement c’est dommage que l’on ne puisse pas allier la quantité et la qualité.

Mais tout cela n’est pas grand’chose. La grosse nouvelle, la « tuile » du jour, c’est l’inspection générale, dès l’arrivée à Cherbourg, de la division des gardes-côtes... « Dès l’arrivée à Cherbourg ? Vous plaisantez ! — Nullement ; c’est écrit. Voyez l’ordre... — Mais nous faisons du charbon aujourd’hui, — naturellement — nous partons demain. Ça nous fera trois bonnes semaines de mer ; il nous en faudrait autant pour nous décrasser. Nous serons sales comme des... —... Petits gorets, c’est entendu. Mais vous passerez l’inspection générale tout de même ! »

Ah ! quel coup ! quelle aventure ! N’avoir pas son bateau propre pour l’inspection générale !... Le commandant s’assombrit, le