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oreilles, mes pauvres oreilles !… Songez qu’en deux reprises, l’une de cinq, l’autre de sept minutes, l’armée navale a tiré 1 500 coups de canon, des calibres moyens et légers, c’est vrai, mais d’autant plus criards et d’une sonorité plus déchirante !…

Mais comme spectacle, qu’était-ce donc ? Heu !… Des éclairs rouges, de longs jets de flamme au travers de nuages opaques et suffocans, de plus en plus opaques et suffocans, qui roulent, s’avancent, se repoussent, se pénètrent… Un moment le feu est si intense que toutes ces nuées se mettent à flamber… Et cela ne serait pas mal, assurément, si l’on pouvait respirer. Aveuglé, assourdi, le souffle court, je ferme les yeux, je me bouche les oreilles et je me demande avec anxiété ce que serait un combat naval de nuit, un vrai, un combat qui dégénérerait en mêlée ? … Concevez-vous une mêlée de cuirassés, un corps à corps d’énormes MV2 dans cette nuit brûlante et hurlante, dans cet extraordinaire chaos ?

De ce drame inouï le dénouement serait, en tout cas, remis au hasard, et, comme personne ne se soucie de prêter des mains complaisantes à cet agent mystérieux de l’inflexible destin, il est probable que l’on fera tout au monde pour éviter ce genre de rencontre.


19 juillet. — La revue.

… Des vaisseaux reluisans, alignés sur cinq longues colonnes, le grand pavois battant ; 16 000 hommes rangés sur les plats-bords, sur les passerelles, sur les tourelles, immobiles, — à distance, de vrais soldats de plomb ; — un grand silence sous le grand soleil, des broderies qui étincellent sur l’eau qui miroite…

… Une longue attente, parce qu’on est toujours prêt trop tôt… Enfin, au loin et se rapprochant peu à peu, des cris, des cris cadencés, réglés, des cris mécaniques, qui font penser encore à ces jouets d’enfans, vous savez ? … Et cette belle sonnerie « aux champs, » qu’autrefois, tout petits, nous entendions avec émotion, quand s’approchait sous le grand dais doré le Saint Sacrement, le bon Dieu !

… Un gilet blanc barré de rouge dans un gros d’habits noirs et d’uniformes variés, qui passent vite, sur l’Elan le bien nommé… Et derrière, d’autres bateaux, plutôt vieux et laids, qui courent, qui s’essoufflent, chargés, surchargés…