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en deux années, moyennant une rétribution de 50 francs par toile. Mais il ne s’agit point d’art. Ces images sont là pour rappeler tous ceux qui commandèrent aux destinées de l’Ecosse ou firent son histoire, qu’ils se nomment John Baliol, Robert Bruce, Macbeth ou Marie Stuart.

Je me suis attardé surtout dans l’antique tour du Nord-Ouest, où sont les appartemens de Darnley, et au-dessus, reliés par un escalier privé, ceux de la reine Marie : le cabinet de toilette, la chambre à coucher, le petit réduit où l’étrange souveraine soupait avec quelques familiers lorsqu’y pénétrèrent, le samedi 9 mars 1566, vers sept heures du soir, les assassins de Rizzio ; enfin le salon d’audience dont le seuil étale encore une large tache que la tradition attribue au sang du favori. Et la religion des souvenirs est si stricte que rien n’est restauré dans cette partie d’Holyrood, deux fois sacrée à la fidélité écossaise. Les tentures de damas cramoisi, aux franges et glands de soie verte, qui décorent le lit et la chambre, tombent en poussière, à peine en devine-t-on encore la couleur. Mais la tristesse de ces décors fanés convient bien à l’évocation d’une histoire dont la vérité égale les plus tragiques légendes. Les descendans des sujets de la reine Marie lui gardent un culte où il entre certes de la pitié pour ses malheurs, de l’admiration pour sa beauté, de la sympathie pour ses faiblesses, mais surtout un mystérieux amour pour l’antique lignée de princes nationaux qu’elle représente, l’orgueil de toute cette histoire révolue dont elle est la poésie encore vivante, de cette séculaire noblesse qu’elle revêt d’une grâce infinie, et de cette destinée écossaise qu’elle symbolise jusque dans sa lutte inégale et sa touchante défaite.

Pendant quelques jours, je suis dépaysé et je sens que tout m’est étranger. C’est la pénible impression de Leith qui reparaît et s’aggrave. Je vais flâner chaque soir dans les rues les plus animées. Aux devantures des boutiques une lumière crue éclaire des étalages sans goût qui offrent leur profusion de choses utiles et médiocres. Il y a des monceaux de comestibles, une gargantuesque richesse de jambons, de saucisses, de quartiers de bœuf ; un pêle-mêle de lourdes pâtisseries, de confiseries grossières, de chocolats communs, de tabacs variés, de grenades et de pastèques. Tout cela dans une confusion qui déroute des regards habitués à l’ordre rigoureux et à l’élégance précise de nos vitrines. Je distinguais avec peine entre le charcutier et le boucher, le pâtissier et le