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confiseur ; les fruits ressemblent à des légumes, et le magasin du tobacconist a l’air d’une épicerie. Ici, un vague restaurant qu’on croirait un bar ; là, un débit de spiritueux où l’on vend des portions de poisson. Un assortiment de casquettes orne l’entrée d’une maison de tailleur ; et ce serait une induction téméraire de croire que ces chemises sont à la porte d’un chemisier.

Il n’est guère plus facile d’identifier les gens qui passent. Les enfans du peuple vont pieds nus, tous très sales, sans qu’on puisse reconnaître les petits vagabonds quasi-abandonnés et les bambins d’ouvriers. Beaucoup de femmes en cheveux : peut-être des jeunes filles qui ont fini leur journée de travail, peut-être d’honnêtes ménagères, peut-être des aventurières de la rue. Et ces jeunes garçons qui les accostent, sont-ce des apprentis ou des rôdeurs ? Parmi les gens corrects, je ne reconnais que les clergymen, et mes yeux, avides de certitude, ne s’arrêtent avec sécurité que sur les robustes Highlanders. Encore ces fantassins ont-ils l’étrange usage de tenir à la main un frêle bambou de cavalier.

Dans la Canongate, les portes des closes sont fermées, et chaque embrasure abrite un colloque sentimental. Il faut marcher avec précaution : la rue est pleine des zigzags des ivrognes. Des femmes intoxiquées de whisky ricanent, titubent, tombent, et des jeunes filles aussi se traînent effroyablement ivres, les yeux saillans et hébétés, la figure tuméfiée, les lèvres gonflées sous un vomissement d’injures. Je bouscule un grand diable qui, debout, devant la porte basse d’une boutique de coiffeur, invective le patron. Celui-ci, très calme, continue sa besogne et se contente d’un bref avertissement. L’ivrogne s’obstine : alors le coiffeur dépose ses ciseaux et son peigne, sort de son officine, et d’un coup de poing en pleine figure étend l’homme raide. Puis il met son volet, rentre chez lui et ferme sa porte. Tout cela s’est fait en quelques secondes, avec une brutalité froide et résolue qui dénote l’habitude de ces exécutions. Hélas ! un pire spectacle m’attendait dans High street : un de ces beaux soldats que j’avais vus si coquets et si crânes, avec les bas à revers, le kilt à carreaux et la veste de flanelle blanche, a roulé dans la bouc. Les policemen l’ont remis à la ronde de nuit, qui remonte lentement, de son pas rythmé, vers la citadelle.

Arrivé devant ma porte, je me trouvai fort embarrassé. J’avais oublié la clef de l’entrée et la maison n’avait pas de concierge. Je sonnai plusieurs fois sans résultat. A quelques pas derrière moi,