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qu’il soumit sa vieillesse au plus rude travail, comme il avait dissipé sans compter, pour l’élever et l’embellir, les trésors de sa prospérité. Ce domaine et ce palais furent l’objet de toutes ses complaisances, il aimait en eux tous les chers paysages, tous les beaux vestiges qui avaient éveillé son imagination, le charme de la vivante Écosse et la poésie des anciens jours, toute la nature de son pays, toute son histoire, toute sa légende, tout ce qu’il avait vu de sa vérité et de sa beauté, tout ce qu’en avait deviné son âme éprise. Abbotsford lui résumait son rêve : c’était la plus aimée de ses œuvres, parce qu’elle était l’image de ce qu’il aimait le plus.

Et l’amour fut le maître de son art. L’imagination de sir W. Scott erra d’abord, mélancolique et charmée, parmi les souvenirs ; puis elle sentit se concentrer en elle les rayons brisés de cette grandeur et de cette beauté prêtes à reparaître parmi les hommes et elle s’anima du désir de ressusciter une vie qui, dans les limbes de l’histoire, attendait sa venue. Et plus que jamais le génie se manifesta créateur, parce qu’il s’était fait libérateur. Son office fut de dissiper les ombres de la mort, qui enveloppaient le sommeil de la vieille Écosse, et de la faire paraître, délivrée aussi des ombres de la vie, dans la poésie de sa vérité. Sans doute W. Scott idéalisa le passé de sa patrie, mais l’idéal qu’il découvrit au fond de l’histoire, peut-être parce qu’il le sentait au fond de son cœur, est plus vrai que toutes les apparences de la réalité. Il satisfait les âmes qui se reconnaissent en lui, s’y complaisent et s’y reposent, s’y abandonnent jusqu’à s’identifier avec lui. Il devient ainsi leur modèle, elles se façonnent à son image. On peut dire que W. Scott est un père spirituel de la patrie. Il a donné un asile idéal au génie de sa nation, qui garde ainsi la claire conscience de lui-même et survit à sa fortune. N’essayons point, si nous n’avons pas pénétré ce rôle exceptionnel d’un homme, de comprendre le culte singulier qui lui est voué. Il y a de plus grands poètes, des romanciers d’un art plus savant, des artistes d’une perfection plus rare ; il n’y a pas d’écrivain plus national, dont l’œuvre reflète mieux l’âme commune, en concentre plus de rayons et soit plus propre à la diriger à sa propre lumière. Faut-il donc s’étonner que cette œuvre soit un facteur de l’histoire et qu’en ce haut rang l’écrivain devienne un héros ? Et c’est aussi le cas de Robert Burns, qui exprima avec une intensité de poésie plus émouvante moins d’élémens de l’âme écossaise.