Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est non moins le cas de John Knox. Et nous y pourrions joindre ces représentans plus discrets, les Th. Reid, les Dugald Stewart... C’est son âme immortelle que l’Écosse aime en leur génie, comme c’est son image qu’elle cherche dans les grandes figures de son histoire. Elle n’a plus de réalité que dans cette vie surnaturelle. Ses grands hommes ont sauvé son autonomie, et l’union avec l’Angleterre ne saurait prévaloir contre leur divin prestige. Fidèle à son nouveau destin comme à son ancienne gloire, elle relève son loyalisme du culte de ses héros. La religion de l’héroïsme ne se comprend nulle part mieux qu’en ce pays dont elle est vraiment rédemptrice, et nous ne nous étonnerons plus qu’elle y ait proclamé son évangile par le verbe enflammé de Carlyle...

D’autres excursions me firent voir la sauvage Écosse de la mer et des grèves. Je me rappelle des villages de pêcheurs au bord de ce duché de Fife que les Écossais appellent « un manteau de mendiant à frange d’or. » Dans leurs vêtemens goudronnés, avec leurs barbes en collier et leur teint hâlé, ils me semblèrent tout pareils à nos matelots bretons ; leur rude parler écossais avait les mêmes résonances gutturales ; et, par les étroites fenêtres fleuries, mon regard, qui plongeait dans les chaumières, vit de petites tables luisantes et des rideaux blancs trop teintés de bleu. Les ménagères préparaient le repas du soir. Je n’avais point l’impression de la misère, mais d’une vie très rude et du pauvre effort humain qui vient se raidir, sous tous les cieux, aux lisières des mondes, devant l’indifférence mouvante de la mer. Alors, je sentis monter en moi toute la mélancolie du voyageur qui « reconnaît sous des masques divers l’immuable détresse du vieil Adam. » Nous suivîmes la côte où les siècles ont laissé des épaves d’abbayes et de forteresses parmi les rochers et dans de petites îles. On nous conduisit en barque d’Aberdour à l’îlot d’Inchcolm. Une tour carrée, des murailles effondrées, une pauvre ferme : ce fut là, jadis, le glorieux monastère de saint Colomban, le missionnaire d’Irlande qui vint évangéliser le pays, Quelle solitude, ce soir, et quel silence ! Ici, comme dans la petite ville de Stirling, comme parmi les ruines de Melrose ou de Dryburgh, j’ai cette impression que le pays a été. Les jours semblent ne survivre à l’histoire que pour en refléter le prestige, et leur activité paisible fait survivre dans l’éternelle beauté des choses un peu de ces énergies du passé dont les grandes flammes presque éteintes jettent encore des lueurs sur les armoiries mutilées du foyer. Mais cette