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pourrait bien se modifier avec les événemens et ne pas résister à certaines tentations. Il n’est de l’intérêt de personne de s’exposer à cette périlleuse épreuve : ce n’est pas celui des puissances, c’est encore moins celui de la Chine. Notre espoir est que, dans l’endroit ignoré où elle a trouvé un refuge, l’Impératrice comprendra que, puisque les puissances sont disposées à traiter, le plus sage de sa part est de profiter de leurs dispositions présentes et de ne pas leur laisser le temps d’en changer. Nous savons ce qu’est aujourd’hui ; qui peut dire ce que sera demain ?

Sans attribuer à telles ou telles puissances des desseins plus ou moins dissimulés, desseins qui n’existent peut-être pas encore, mais qui pourraient bien naître de l’occasion et que nous qualifierons d’éventuels, il est sûr que la politique de l’Angleterre, par exemple, et celle de l’Allemagne, doivent être l’objet d’une attention constante. L’Angleterre n’a pas en ce moment les mains tout à fait libres. Ses forces militaires sont encore absorbées par la guerre du Transvaal, sans qu’on puisse prévoir le jour où cet état de choses prendra fin. Cependant, si elle est occupée ailleurs, elle n’est pas aussi affaiblie qu’on veut bien le dire ; elle conserve l’espérance de retrouver bientôt la disponibilité de son armée de terre ; elle ne renonce à aucune de ses prétentions : tout au plus en ajourne-t-elle la poursuite. L’incident de Shanghaï est, à ce point de vue, très instructif.

Malgré quelques troubles partiels qui s’y sont produits et qui y ont été, jusqu’à ce jour, réprimés sans grande peine, la région du Yang-tsé-Kiang est restée calme ; on n’y a signalé aucun désordre grave. Cela était encore plus vrai qu’aujourd’hui au moment où les Anglais, sans motif apparent ou du moins suffisant, ont voulu débarquer des troupes à Shanghaï. S’ils en avaient de reste, il aurait été certainement plus utile de les diriger vers le Nord et de les unir au corps expéditionnaire qui opère dans le Tchi-li. C’est bien par la que les Anglais ont fini, mais c’est par là qu’ils auraient dû commencer. On connaît leurs projets sur le vallée du Yang-tsé : loin d’en faire mystère, ils ont voulu que personne ne les ignorât, et en effet personne ne les ignore, mais tout le monde n’est pas tenu de s’y prêter. Au reste, l’Angleterre a paru hésiter elle-même dans la manière dont elle les exécuterait, et, depuis ces derniers temps surtout, elle a semblé préférer ce qu’on a appelé la politique des portes ouvertes à celle des zones d’influence. La confiance très justifiée qu’elle a dans sa supériorité commerciale lui permettait d’atteindre ainsi son but avec autant de sûreté et beaucoup moins de frais. Aussi a-t-on été surpris de sa velléité d’action du