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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

moustache grise relevée, s’avançait d’un pas brusque, sans voir personne, absorbé dans son émotion. Charles Réal regardait avec surprise la manche repliée sur l’avant-bras amputé. Poncet, non moins stupéfait s’écria :

— Mais c’est Du Breuil ! Qu’est-ce que vous faites ici ?

Ils le croyaient retourné près d’Amélie, dans son château de la Creuse. M. Du Breuil leva sur eux un regard d’une acuité douloureuse, un visage encore marqué d’un combat violent :

— Vous venez chercher des nouvelles de Pierre ? demanda Poncet.

Il répondit, contraint :

— Non, j’en ai.

— Voilà, dit Réal en montrant discrètement Carrouge, un commandant avec qui j’ai voyagé ; il connaît Pierre. Voulez-vous que je vous le présente ?

Sans attendre, il mit les deux hommes en rapport. Carrouge s’empressait de renseigner le père, racontant les douloureuses péripéties du blocus, inquiet d’ailleurs qu’on lui prît son tour et surveillant la porte.

— Mais, ajouta-t-il, d’Avol vous dira cela mieux que moi ; et le hélant : — C’était le meilleur ami de votre fils. M. Du Breuil s’avança, la main ouverte : il savait les anciennes relations de M. d’Avol et de Pierre, il était heureux de le rencontrer. Gêné, le jeune officier, tendant le bout des doigts, répondit :

— Vous m’excuserez, monsieur. J’ai en effet été l’ami du commandant Du Breuil. Mais dans les tristes jours que nous avons traversés, nos idées ont cessé de se trouver d’accord. Nous n’envisagions plus le devoir de la même façon.

— Que voulez-vous dire ? demanda sèchement M. Du Breuil, blessé au vif.

D’Avol, avec une sincérité dont l’effort mettait une rougeur à ses pommettes maigres, continua :

— Nous ne nous donnions plus la main. Il préférait subir la capitulation et ses conséquences. Je repoussais cela comme une honte. Voilà comment nous sommes aujourd’hui, lui captif de l’autre côté du Rhin, moi libre, prêt à servir de nouveau. Croyez, monsieur, qu’il m’en coûte de parler ainsi.

Dans l’esprit ulcéré de d’Avol repassait le drame de cette amitié brisée, sa jalousie haineuse pour la tendresse dont sa cou-