Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
LES TRONÇONS DU GLAIVE.

des portes roulait le feu à bout portant ; une barricade flambante coupait la rue. Sans ivresse ni défaillance, une foi profonde dans son regard d’acier, rigide comme le devoir, grave comme le sacrifice, M. Du Breuil marchait toujours.

VII

— Mais enfin, s’écria Frédéric, avec un violent coup de poing sur la table, à qui dois-je m’adresser alors ?

Plus tanné qu’à son retour d’Amérique, bien pris dans son uniforme gris de fer à ceinture-cartouchière, guêtre de cuir et boueux jusqu’au genou, béret épinglé d’une cocarde tricolore, le commandant des chasseurs des Pampas, Frédéric Réal de Nairve, empoignait au bras et secouait un officier italien, blouse rouge et grandes bottes, dont le teint de cire, les fines moustaches noires, toute la physionomie rageuse souriait comme si elle eût voulu mordre.

Démuni de souliers et de cartouches après un mois passé aux avant-postes, surtout après la retraite précipitée qui de Dijon, le coup de main manqué, le ramenait à Autun avec sa compagnie, Frédéric, laissant ses hommes campés aux portes de la ville dans le couvent de Saint-Martin, était arrivé tout droit au bureau de la Place.

Pazienza, Signor. Il maggior di piazza va venir. Si volete aspettare un po !

Frédéric lâcha prise, et tandis que le garibaldien se remettait à écrire, penché sur une table à tréteaux salie d’encre, où des bouteilles tenaient lieu de chandeliers, il arpenta la pièce empuantie de tabac. Des images collées au mur représentaient Garibaldi, un poignard à la main, arrachant la Liberté d’entre les bras du Pape et de Napoléon. Devant une fenêtre, une table plus petite, ornée d’une couverte de campement et d’un flacon d’absinthe, attendait il maggior. Tout dansait dans sa tête : le combat de Dijon, la retraite, succédant à trente jours de vie à travers la campagne, de coups de feu dans les bois, de repas incertains, de courts sommeils. Où en était-on ? Quel décousu ! Quel désarroi !

Un éparpillement, une confusion extraordinaires ; foison de chefs, sans hiérarchie. Werder, mal à l’aise dans un pays dont il ne connaissait pas les projets, les moyens de lutte, était entré dès