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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Empaquetant le linge, pliant les robes dans une malle, il lui mettait son collet aux épaules, nouait les brides de son chapeau. — Qu’est-ce que tu fais ? demandait-elle, émue. — Je t’emmène ! Si tu savais comme l’atelier est triste sans toi !… Ils avaient uni de la sorte leur détresse : à deux ils se réchaufferaient, s’encourageraient. Et depuis, Nini, à qui Martial avait déféré le pouvoir, confié le secret du bureau Louis XV, du tiroir à argent, — satané argent, ils y touchaient à peine, et le tas diminuait si vite ! — Nini, veillant à tout, dispensant le feu et la lumière, un rire ici, une fleur là, était le génie familier, la douce providence du lieu.

Thérould, cuit d’un côté, se releva d’un bond de singe, et de ses bras ouverts entourant le poêle à la manière d’un autel, il s’écria :

— Ô feu bienfaisant, tu mérites qu’on te célèbre d’une louange païenne ! Hélas, le bois est introuvable, le charbon se fait rare, le coke a disparu. Bientôt le gaz va nous manquer ! De loin en loin clignote un pauvre réverbère. Nos maisons, à partir de sept heures, plongent dans la nuit. Heureux qui possède alors la lampe fidèle ou la bougie coûteuse ! — Quittant le dithyrambe, il reprit de sa voix faubourienne : — Ah ! là là ! J’étais hier sur les boulevards, les cafés empestent le pétrole, on n’y voit goutte. Sale gouvernement, qui, au lieu d’éclairer les Parisiens, met la lumière sous le boisseau. Poursuivre les grands patriotes, les héros du 31 octobre !

Ce que Thérould évitait soigneusement de dire, c’est que, fait prisonnier par les mobiles bretons pendant l’échauffourée de l’hôtel de ville, il avait été jeté dans une cave où, dégrisé, il avait passé la nuit. Son irritation contre le gouvernement venait du magistral coup de pied dans le derrière dont un mobile l’avait remis en liberté. Depuis il était révolutionnaire à mort. Il ne manquait pas une réunion des clubs rouges, n’ayant que l’embarras du choix. Dans la plupart, ce n’était qu’incohérence, violente et basse démagogie. Chaque soir, par tous les quartiers, des salles s’emplissaient d’une foule de braillards. Des orateurs cocasses émettaient des motions insensées. L’un voulait qu’on lâchât contre l’ennemi les fauves du Jardin des Plantes ; un autre, qu’on chassât au rempart à coups de fouet les prêtres en chemise ; un troisième regrettait de ne pouvoir escalader le ciel pour aller poignarder Dieu. Thérould en prenait et en laissait ;