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élevé. Seul M. Crispi, dans une lettre étonnante que viennent de reproduire tous les journaux, continue de se glorifier de cette occupation de jeunesse ; mais les membres de la « Société ouvrière » et du « Cercle universitaire, » tels qu’ils se révèlent dans leurs affiches, ont des sentimens plus humains ; et le jour où s’effriterait, à Plaisance, l’inscription solennelle qui commémore le serment d’Orsini, « condamné par l’histoire, mais sanctifié par l’amour de la patrie, » elle ne serait point rétablie, j’espère, sans être amendée de quelque façon. Gaetano Bresci, sans le vouloir, vient d’enseigner la haine de l’assassinat politique. Il a violé odieusement le droit de l’homme à la vie : c’est sur cette observation philosophique qu’un autre groupe de travailleurs, la « Société générale ouvrière romaine, » a fondé sa protestation contre le crime de Monza ; les perruquiers de Rome, aussi, ont pris ce considérant comme point de départ de leur affiche.

Il y avait émulation entre tous les sujets du roi pour apporter une condoléance : ils pensaient tous, comme le disaient en leur style les artistes dramatiques, qu’ils ne pouvaient « rester spectateurs inertes du plus atroce des délits. » Conducteurs de tramways et conducteurs de botte, négocians en comestibles et crieurs de journaux, marchands ambulans et ouvriers boulangers, coururent chez l’afficheur ; et les afficheurs à leur tour collèrent, en leur nom à tous, un manifeste personnel : après avoir divulgué, presque à foison, les sentimens d’autrui, n’avaient-ils pas le droit, à leur tour, d’exprimer pieusement leur propre pensée ?

Au milieu de ces innombrables placards qui étaient des actes d’humaine et large charité, on finissait par relever, à force de toiser les murailles, quelques affiches qui étaient des actes de foi, des proclamations de loyalisme : celles, entre autres, de la Ligue monarchique, de la Jeunesse monarchiste, de la Société de Secours mutuels entre les Employés de l’Etat. On ne faisait point une thèse, ici, sur le droit à la vie ou sur l’inefficacité de la violence ; on proclamait que, « si le roi est mort, les institutions ne meurent pas, » et l’on saluait, d’un même geste dévoué, Humbert Ier et Victor-Emmanuel III.


Au premier moment, la presse dynastique interpréta ce généreux unisson des regrets et des larmes comme un indice de « réchauffement » de l’esprit monarchiste ; elle montra dans cette exégèse quelque témérité. Puis elle se troubla ; les soudains