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accès de dévotion à la mémoire du roi défunt, auxquels semblaient être en proie les rédactions d’un certain nombre de gazettes républicaines, agacèrent les organes monarchistes. « C’est pis que chez Fregoli ! C’est pis que le transformisme ! » s’exclamait, d’une assez méchante humeur, un journal de Venise. M. Pantano, représentant des partis avancés, prit la courtoise liberté d’apporter, lui aussi, en son nom et au nom de son groupe, à la tribune de Montecitorio, l’expression de sa tristesse : il s’entendit brusquement interrompre par un député royaliste, qui, fort vilainement, le traita de crocodile.

L’interruption fit un médiocre effet en Italie : il y avait une sorte de conspiration des cœurs pour se mêler, tous ensemble, au deuil qui frappait une noble maison, et pour souffrir avec une reine en laquelle les plus farouches des républicains se plaisent à saluer une compatriote ; cette sainte complicité des pleurs et des silences, des effusions et des réserves, a été comme troublée par l’interjection : « Crocodiles ! » Les véritables fidèles des monarchies sont terribles en leur zèle ; ils ne respectent pas la trêve des larmes. C’est qu’en raison même de leur féal attachement, ils ne sont jamais en grand deuil : ne savent-ils pas que les monarchies sont immortelles, théoriquement au moins ? « Le roi est mort. Vive le roi ! » et ils appuient sur la seconde phrase. L’Italie, elle, appuyait sur la première, et la voulait prolonger en une pause attristée ; l’Italie, elle, était en grand deuil. On fut amèrement ému par la mort d’Humbert Ier, — n’en doutez point un instant, — dans les villes mêmes de Budrio et de Gonzaga, qui, huit jours après cette mort, envoyaient au Parlement deux socialistes ; et la coïncidence de cette journée électorale avec l’octave du deuil ne saurait être trop méditée.

L’Italie a commémoré Humbert 1er comme il eût aimé à être commémoré. Il advenait, parfois, au regretté souverain, d’échanger des cordialités charmantes avec les adversaires de sa couronne. « Majesté, lui disait un jour un avocat républicain, si nous avions la république, je donnerais non seulement mon vote, mais mon sang, pour que vous fussiez président ! » Et le bon roi de répliquer : « Cher avocat, ne serait-il pas mieux d’épargner votre sang et de me prendre comme je suis et pour ce que je suis ? » C’est ce qu’avait fini par faire, avec le temps, un autre républicain, le poète Giosué Carducci. Il était à Mantoue, en 1884, pour les fêtes en l’honneur de Virgile ; et comme on le