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si je puis ainsi dire, la veine du roman picaresque, celle du Lazarille de Tormes et du Guzman d’Alfarache, et se faisait le peintre ironique de la vie journalière, Prévost, lui, prenait tout au tragique, jusqu’à l’aventure du chevalier des Grieux, — je ne dis pas de Manon Lescaut ; — et se complaisait en des récits inspirés d’une autre origine. Cette origine était celle d’où Mme de Lafayette et Segrais avaient tiré la Princesse de Clèves et Zayde[1].

Mais la Princesse de Clèves et Zayde, à leur tour, d’où venaient-elles ? Nous n’avons pas besoin, pour le savoir, de sortir des frontières de la littérature française, puisque aussi bien c’est le temps de sa domination européenne, et les romans de Mme Lafayette, — nous dirions aujourd’hui ses « nouvelles, — » ne sont que l’aboutissement du grand, du long, de l’interminable roman de la période antérieure, la réduction, et la quintessence des Artamène, des Clélie, des Cléopâtre et des Cassandre. S’il y a d’ailleurs une généalogie certaine, une filiation littéraire connue et prouvée, c’est sans doute celle qui rattache le roman de Mlle de Scudéry, celui de La Calprenède et de Gomberville à l’Astrée d’Honoré d’Urfé. Abraham genuit Isaac... l’Astrée a engendré le Polexandre et l’Endymion, qui ont engendré l’Artamène et la Clélie, qui ont engendré la Princesse de Clèves et Zayde. Or l’Astrée nous ramène au temps d’Henri IV, — dont on conte que les diverses amours y tiennent leur place, dans plusieurs épisodes, sous des noms à peine déguisés, — et ce temps, nous l’avons dit, est celui de la domination de la littérature espagnole. C’est pourquoi l’Astrée n’est-elle même qu’une transcription ou une adaptation de la Diana enamorada de George de Montemayor. Nous approchons ici du but, et il ne nous reste qu’à dire ce que c’est que la Diana de Montemayor.

L’écrivain lui-même n’a pas laissé de traces profondes dans

  1. Voyez sur l’histoire du roman anglais : The development of the English novel, by W. L. Cross, in-8o ; New-York et Londres, 1899, Macmillan ; et sur l’histoire du roman picaresque le livre de M. F. W. Chandler : Romances of Roguery, part. I, The Picaresque Novel in Spain, in-8o ; New-York et Londres. 1899, Macmillan.
    Ce dernier volume est le troisième d’une collection d’Etudes littéraires, inaugurée par la publication du livre de M. J. E. Spingarn : A history of Literary Criticism in the Renaissance, et qui se continuera de temps en temps, — from titne to time, — selon l’état des travaux de l’Université de Columbia, sous la direction de MM. G. Edward Woodberry et Brander Matthews. On nous pardonnera, si nous y avons reconnu quelques traits de la méthode que nous prêchons, de nous en féliciter naïvement.