Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’organisation de la fraude. Les apôtres du Japon sont plutôt des illuminés solitaires ; ses bigots, des entêtés taciturnes ; ses douteurs, des insoucians. Les dieux ne rapprochent ni ne séparent les âmes. On n’y connaît pas les damnables erreurs, ni les ardentes hérésies, ni les schismes passionnés, ni cette espèce de cagots, la plus imbécile de toutes, l’athée militant.

La somme de vérité divine que réclame l’esprit japonais est contenue dans la tradition ; mais la tradition ne se présente pas à lui sous une forme dogmatique. On peut en prendre et en laisser. On peut même y ajouter. La religion est du domaine de la fantaisie et de la sensibilité. Elle ne s’impose pas à la raison pour la vaincre et l’humilier. D’ailleurs, cette raison ne raisonne pas comme la nôtre. Plus ingénieuse que profonde et plus subtile que tenace, les grandes obscurités l’intriguent et ne la tourmentent pas. Les énigmes du monde piquent sa curiosité ni plus ni moins que des rébus. Les Japonais apportent dans leurs argumentations le même goût de l’imprévu que dans leurs divertissemens. Leur dialectique est une boîte à surprises. C’est par l’inattendu qu’ils sont persuadés. Ils subissent délicieusement l’inexplicable. Notre logique leur paraîtrait brutale, susceptible de fausser la délicate complexité de l’Univers. Cette harmonie tout humaine, que le génie grec parvint à réaliser dans son polythéisme, leur demeurerait inintelligible. Le mélange parfois extraordinaire du profane et du sacré dont leur vie nous offre tant d’exemples n’est que l’image innocente de ces antinomies que leur rêve a conciliées dans la même vapeur. Ils vivent enveloppés d’une atmosphère religieuse aussi légère et aussi douce que l’air de leur pays et ne se demandent point s’ils sont religieux.

On objecte leurs superstitions, leurs pitoyables superstitions ! C’en est une assurément que de prêter au renard le pouvoir d’ensorceler les hommes et au blaireau celui de jouer dans le clair de lune du tambour sur son ventre. Mais, catholiques, luthériennes ou orthodoxes, nos campagnes sont peuplées de semblables prodiges. Et si je vois bien en quoi la religion se distingue de la superstition, j’aperçois moins nettement la ligne qui les sépare. Qu’on me dise plutôt où finit le règne végétal et où le règne animal commence ! Les Japonais ont à un très haut degré le sentiment de l’invisible. Il se traduit chez eux par un panthéisme plus instinctif que raisonné. Leurs superstitions, sauf en certains cas de possession diabolique, ne leur causent point de pernicieux